Avec Leila, son dernier roman paru chez M +, Guillaume Coquery nous plonge au cœur de la Mauritanie et interroge les rapports de domination, d’ethnocentrisme et la condition féminine dans un pays encore marqué par des héritages lourds. Rencontre avec son auteur qui, après Putain de Karma, confirme qu’il est un maître du suspense sous haute tension.

 

L’avis du Toulouscope

Après nous avoir épatés avec Putain de Karma(récompensé par le Prix de l’Embouchure) Guillaume Coquery revient sur le devant de la scène avec Leila et prouve, une fois encore, qu’il manie le suspense avec une redoutable dextérité.

Dès les premières lignes, impossible de décrocher. L’histoire vous happe, vous embrouille l’esprit, vous pousse à croire que vous tenez la clé… avant de renverser la table sans prévenir. Les hypothèses volent en éclats, les certitudes fondent : Guillaume Coquery prend un malin plaisir à vous balader, à jouer avec vos nerfs jusqu’à la dernière page.

Mais Leila, ce n’est pas qu’un simple page-turner. C’est aussi un récit engagé, minutieusement renseigné, emmené par une héroïne piquante et irrésistible… et surtout, toulousaine ! Direction la Mauritanie, ses traditions, ses zones d’ombre, et ses vérités bien éloignées des images toutes faites. Une immersion totale.

"Leila", un thriller captivant de Guillaume Coquery

« Leila », un thriller captivant de Guillaume Coquery
D.R.

 

Une idée née dans le désert mauritanien

« L’idée de Leila m’est venue de mon voyage en Mauritanie. J’y ai séjourné six mois, raconte Guillaume Coquery. C’est une rencontre inattendue qui a tout déclenché : J’ai croisé Mériem, une jeune femme que j’ai aidée à obtenir un poste auquel elle ne pouvait pas prétendre, uniquement à cause de sa naissance. »

Cette relation, que l’auteur décrit comme « de l’ordre de la relation père-fille, voire de la figure du vieux sage », lui ouvre une porte sur une réalité sociale qu’il ignorait. « Elle m’a raconté sa vie, sa jeunesse, ses espoirs. Je me suis dit que c’était une matière extraordinaire pour faire un livre. » Aujourd’hui, il n’a plus de contact avec Mériem, « nos rapports se sont distendus sous la pression sociale », confie-t-il sans amertume.

Lire un extrait de Leila

 

Un roman extrêmement documenté

À la lecture de Leila, impossible de ne pas ressentir l’immersion presque ethnographique dans la société mauritanienne. Comment l’auteur a-t-il travaillé cette précision ?

« Le grand sujet de ce livre, c’est l’ethnocentrisme. Quand je suis arrivé, j’étais un débutant complet. J’ai découvert une société que j’ai autant aimée que détestée. L’amour pour ce pays est allé de pair avec une profonde incompréhension de certains aspects : les relations interethniques, les restes de l’esclavage… »
Guillaume Coquery décrit une réalité brutale : « En Mauritanie, j’ai rencontré des personnes encore en état d’esclavage pour qui cette situation est tout à fait normale. Dès l’école, les enfants sont séparés selon leur origine. J’y ai vu des choses belles et d’autres terribles. Ce n’est pas simple d’en parler avec nos yeux d’Occidentaux. Mais c’est essentiel. Le racisme, l’ethnocentrisme, les rapports de domination ne concernent pas qu’un seul continent, qu’une seule couleur de peau. »

 

Leila, une héroïne toulousaine

Leila n’est pas qu’un témoignage social, c’est avant tout un roman, porté par un personnage fort. Pourquoi Leila est-elle une femme ? Et pourquoi est-elle originaire de Toulouse ?

« Au départ, je voulais écrire sur le Rwanda. Mais je n’avais pas la légitimité. J’ai donc imaginé une héroïne rwandaise, recueillie par un couple de coopérants français, et qui grandit à Toulouse. Elle a des racines africaines, mais des codes français. »

Pour Guillaule Coquery, cette narration ne pouvait exister qu’à travers une femme : « En Mauritanie, la position d’une femme seule est beaucoup plus complexe qu’un homme. Il y a une absence totale de contact entre les hommes et les femmes. Mettre une femme aventurière au centre du récit me permettait d’explorer cette frontière invisible. »

Et il insiste : « Ce n’est pas pour cocher des cases. C’est parce que cette histoire avait plus de force racontée par une femme de couleur, confrontée à une société où tout est cloisonné. »

Découvrir Putain de Karma de Guillaume Coquery

 

Une écriture longue, un doute permanent

Leila n’a pas été un long fleuve tranquille à écrire. « C’est le livre qui m’a demandé le plus d’efforts et qui m’a causé le plus de doutes. J’ai écrit trois versions radicalement différentes. La première était un long monologue un peu trop statique. La seconde a évolué grâce à une de mes premières lectrices. Et la troisième, c’est celle que vous lisez aujourd’hui. »

L’écriture s’est étalée sur trois ans. « J’ai commencé avant même la sortie de Putain de Karma. J’ai laissé dormir le manuscrit plusieurs fois. À un moment, j’ai même décidé qu’il ne sortirait jamais. Et puis j’ai été poussé à reprendre le projet, à tout restructurer. Aujourd’hui, je ne le regrette pas. »

 

Une suite pour Leila ?

L’univers de Leila est-il clos ? Guillaume Coquery laisse la porte entrouverte. « La structure de ce roman, je ne peux la faire qu’une fois. Mais j’aimerais vraiment que certains personnages reviennent. Je pense notamment au mystérieux John, ou encore Darius. »

Ce dernier est inspiré d’un vrai personnage, confie-t-il. « Darius, c’est un vrai méchant que j’ai croisé dans la vie : un mafieux polonais, tatoué, balafré. Dans mon livre, il est presque plus gentil que dans la réalité. »

En parallèle, l’auteur planche déjà sur deux nouveaux projets. « J’ai un manuscrit de pur polar déjà écrit, et un second en cours. Mais Leila pourrait bien revenir, différemment. »

 

Guillaume Coquery

Guillaume Coquery manie le suspens et l'humour avec le scalpel de ses mots.

Guillaume Coquery manie le suspens et l’humour avec le scalpel de ses mots.
Évy Coquery

Au cours d’un long chemin qui l’a conduit à : vendre des maisons, des voitures, des encyclopédies, des skis, tenir une station-service, travailler dans une équipe de course automobile, construire des modèles réduits de planeurs, d’avions, construire des machines numériques, développer des logiciels, peaufiner sa technique de luthier amateur, fabriquer des guitares acoustiques et dans le même temps, dessiner un tas de mécanismes et autres machines spéciales pour gagner sa vie, Guillaume Coquery à toujours écrit. Avant d’être édité, cet éternel insatisfait que tout passionne a commencé une petite dizaine de romans qui tous ont trouvé le chemin de sa corbeille à papier (heureusement, ajoute-t-il avec un clin d’œil). Il y a quelques années, enfin, il participe à quelques concours de nouvelles et se découvre des lecteurs enthousiastes… le signe tant attendu ! Quatre romans plus tard, il a la tête pleine de projets.

 

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