« Voici la vieille ! Je vous présente Moby Dick, l’amour de ma vie. » Large sourire derrière sa barbe blanche, à 80 ans tout rond Olympe Pellegrino garde un physique à la Daniel Herrero (1). Carrure de rugbyman et bandana rouge retenant sa tignasse ébouriffée par le vent. Celui du large. Olympe est un marin. Pas n’importe lequel. Cet enfant de L’Abadie qui fête, ce vendredi 1er août, ses huit décennies d’existence est le Phénix du port de Nice.

14 mois de soins intensifs et 3 ans pour reconstruire Moby Dick

Lui et l’amour de sa vie, une authentique balancelle génoise qui, elle, a dépassé les 100 ans, ont bien failli périr un soir de Noël. C’était en 2002. Comme toujours, Olympe était au boulot. « En train de livrer Auchan », se souvient cet ancien patron d’une société de transport en fruits et légumes.

Lorsqu’un ami l’a appelé pour lui dire que son bateau était en feu. Olympe Pellegrino en porte encore les stigmates sur son corps. Il est brûlé de la tête aux pieds en tentant d’éteindre l’incendie. S’ensuivront 14 mois de soins intensifs et d’innombrables greffes de peau pour lui… Et presque trois années de réparation pour Moby Dick. « Je l’ai entièrement reconstruite », s’enorgueillit le Phénix du port de Nice.

Il a de quoi en être fier. Moby Dick, mis à l’eau en 1921 par un charpentier de marine de Varazze, près de Gènes, est sans doute le plus vieux gréement méditerranéen de toute la région encore capable de naviguer. Même si « quatre bonshommes ne sont pas de trop » pour manœuvrer sa voile latine de 54mètres carrés.

L’histoire de ce bateau d’exception amarré à la Tour Rouge c’est aussi celle d’une bande de copains. Avant que le temps ne fasse son œuvre, Moby Dick avait son équipage attitré et participait à toutes les régates.

Aujourd’hui encore, les volontaires sont nombreux pour grimper à bord. Ne serait-ce que pour écouter les histoires dont recèle le commandant Olympe. « Des coups de chien », il en a pris avec Moby Dick.

Pas de quoi le convaincre pour autant de rester à quai. « La mer c’est comme une femme, philosophe le jeune octogénaire. Elle a beau de te faire des misères, tu continues à l’aimer. » Mais le véritable coup de foudre de ce transporteur – qu’au marché d’intérêt national, 52 années durant, tout le monde appelait Alain « parce que c’était plus simple qu’Olympe » – ce n’est pas pour elle qu’il l’a eu mais pour lui, ce vieux gréement.

Qui de Moby Dick ou d’Olympe a sauvé l’autre?

Le Phénix de la Tour Rouge se souvient encore de cette nuit de 1972 comme si c’était hier. « Il devait être 1 heure du matin. Lorsque je suis arrivé sur le port de Garavan, pour livrer un client à Menton, je l’ai vu. Il était magnifique. Je suis tout de suite tombé amoureux de ce bateau. » Moby Dick était à vendre. « Mais à l’époque je n’avais pas les moyens de l’acheter, j’étais jeune… »

Six ans plus tard, Olympe retrouve « sa » balancelle génoise dans un petit port du département. Quasiment réduite à l’état d’épave, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Il va la sauver une première fois avant qu’elle ne sombre par le fond. Il récidivera en 2002 après l’incendie.

Moby Dick ressuscitée par Olympe… L’inverse est peut-être vrai, aussi. En perdant un fils de 22 ans dans un accident de moto sur le boulevard Maeterlinck, le Phénix du port a aussi un peu perdu le cap. Pour le retrouver, il a pris la mer. Dix jours seul sur son vieux gréement à sillonner la Méditerranée pour comprendre que, seul, il ne l’était pas. Olympe est revenu s’amarrer à la Tour Rouge, pour ses deux autres enfants. Et sans doute pour ne pas abandonner l’amour de sa vie qu’il continue de bichonner. Inlassablement. À 80 ans.

1. Ancien joueur puis entraîneur de rugby à XV français.