Au mois de juin, l’avocat aux 800 procès, André Buffard, publiait Coups de Maître, un ouvrage co-écrit avec la journaliste Marie Perrin et publié aux Editions du Progrès. Pour la première fois, il revient sur les grandes affaires qui ont marqué sa carrière de pénaliste, ainsi que sur des dossiers moins connus du grand public. Une immersion au sein du procès d’assise, sur laquelle Me André Buffard a accepté de revenir à travers une interview en deux parties (2/2; lire ici la première).
Plus récemment, il y a eu l’affaire de chantage à la sextape à la mairie de Saint-Etienne…
J’ai souvent vu des gens victimes de chantage. Bien sûr que les révélations peuvent bousiller des vies, mais je dis toujours aux gens qu’accepter de chanter, c’est pire. C’est ce qu’il s’est passé pour Gilles Artigues. Le chantage commence à fonctionner donc les protagonistes, avec le temps, se disent qu’ils sont à l’abri. Quand il est venu me raconter son histoire, je lui ai demandé qui était derrière tout ça, puis, s’il avait des preuves de ce qu’il avançait. S’il avait tout balancé dès le début, sans preuve, il aurait été laminé. Lorsqu’il vient me voir, c’est à la fin, il me dit que Mediapart enquête sur l’affaire, qu’ils ont des éléments et que lui-même a quelques enregistrements. J’ai donc demandé à rencontrer le journaliste de Mediapart, pour savoir de quoi il s’agissait. S’il n’y avait pas eu de preuves, j’aurais conseillé à Gilles Artigues de ne pas déposer plainte.
Les enregistrements sont recevables comme preuve ?
Il y a deux choses. Il est interdit d’enregistrer quelqu’un à son insu. Sauf que c’est retenu comme un moyen de preuve quand on est victime d’un délit ou d’un crime, et que cela permet d’en faire état. Au pénal, tous les moyens sont recevables pour apporter la preuve d’un délit ou d’un crime.
Le procès qui aura lieu fin septembre, c’est une bonne nouvelle ?
Oui bien sûr. L’instruction a été faite de manière remarquable et très vite gérée contrairement à ce que l’on peut entendre. Les investigations ont été tous azimuts et sans concessions pour Gilles Artigues. On est allé très au fond des choses. Et l’ordonnance de renvoi est un résumé parfait de tous les éléments.
Pour revenir à l’ensemble de votre carrière, parmi toutes ces affaires, laquelle vous a le plus marqué et pourquoi ?
C’est très difficile de répondre à cette question. On a regroupé une dizaine de grosses affaires dans cet ouvrage, qui ont eu un retentissement national, comme Romand, Carlos, Chanal, ou Jamila Belkacem. Bien sûr que toutes ces affaires m’ont marqué… Mais j’ai répertorié une trentaine de petites affaires insolites. Je pense à celle d’un village de la Loire où un mari avait signé un contrat avec l’amant de sa femme… et cela s’est mal terminé. Elles pourraient toutes faire l’objet d’un roman. Mais si on raconte ça à un éditeur, il répond ‘c’est trop’. Ce qui me marque, c’est le caractère universel de la nature humaine. Je dis toujours aux gens que je forme que pour être un bon avocat, il faut avoir la capacité d’être à l’aise aussi bien avec un clochard, qu’avec un ministre, étant entendu d’ailleurs que ce sont les mêmes, les moteurs sont les mêmes. Le clochard veut devenir roi dans son asile de nuit, le politique roi de France, mais les moteurs sont les mêmes : l’argent, le sexe, le pouvoir. Aussi, Chanal m’a sûrement beaucoup marqué parce que j’ai travaillé sur cette affaire pendant dix ans, et qu’il se suicide au premier jour des trois semaines de procès. C’est pour cela que j’en ai écrit un bouquin, c’était une forme de psychothérapie.
En quoi cela vous a-t-il marqué ?
Chanal est condamné à 10 ans de prison, pour l’histoire de l’auto-stoppeur hongrois. A l’époque, je ne suis pas son avocat. Mais au moment où il va sortir, il y a une campagne médiatique intense avançant qu’il est derrière l’affaire des disparus de Mourmelon. Pourquoi ? Parce qu’il est militaire, qu’il était à Mourmelon au moment où les gens disparaissaient et qu’il a attaché et violé un auto-stoppeur. Les juges d’instruction le mettent en examen à sa sortie de prison et il me désigne à ce moment-là. A cette époque, rien ne le relie directement aux disparus. Le juge d’instruction me disait ‘je pense que c’est lui, mais je n’ai pas d’éléments qui le prouvent’. On est à la fin des années 90 et le traitement de l’ADN apparaît. Il fait exhumer le matelas que l’on avait trouvé dans le camping-car de Chanal lorsqu’il avait été arrêté, et dans lequel on a retrouvé des éléments pileux. Ça va matcher pour trois des disparus. Chanal est renvoyé aux assises et fait une première tentative de suicide à Saint-Etienne la veille du premier procès. Le procès est renvoyé et la cour délivre un mandat de dépôt pour être sûr qu’il ne se suicide pas, ce qui est ridicule car c’est en prison que le taux de suicide est le plus important. Lors du second procès, il est squelettique, le ministère veut absolument qu’il soit jugé… il le sera mais restera dans sa cellule. Je vais le voir à la fin du premier jour pour lui expliquer qu’il sera certainement condamné au terme des trois semaines. Il me remercie pour tout ce que j’ai fait, et deux heures après, j’apprends son suicide, à l’aide d’une lame de rasoir. Ce qui m’a toujours frappé, c’est qu’il était d’une normalité absolue. S’il était là, c’est un type qui ne vous inquiéterait pas du tout.