L’armement au cœur d’une demande exceptionnelle : le mécanisme SAFE convoité
Le 30 juillet 2025, 18 pays européens – dont la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne ou encore la Suède – ont transmis à la Commission européenne une demande de financement commune via le mécanisme SAFE (Support to Ammunition Financing in Europe), un instrument financier lancé en mars 2023 pour soutenir l’industrie militaire européenne.
Ce dispositif permet à la Commission, via des émissions de dette sur les marchés, d’octroyer des prêts communs aux États membres. Le principe repose sur un levier : pour un euro engagé par un État, l’Union peut en emprunter plusieurs sur les marchés financiers. Le montant total envisagé pour ce tour de table atteint 127 milliards d’euros, comme confirmé par BFMTV.
L’instrument SAFE s’inscrit dans la continuité du fonds de relance post-Covid (Next Generation EU), mais avec un objectif ciblé : renforcer l’autonomie stratégique du continent face à un environnement géopolitique devenu instable.
Prêts, calendrier et acteurs : ce que prévoit la feuille de route européenne
La liste des pays signataires inclut notamment les principales puissances militaires européennes. Pour bénéficier des prêts du programme SAFE, les projets doivent respecter une exigence de préférence européenne : près de deux tiers de la valeur du système d’armement concerné doivent être produits dans un pays de l’Union européenne, en Ukraine, ou dans un État membre de l’Espace économique européen ou de l’Association européenne de libre-échange, comme le rappelle EuroNews.
La feuille de route européenne, articulée autour du programme SAFE (Security Action for Europe) et du plan Readiness 2030, vise à renforcer l’autonomie stratégique de l’Union en finançant jusqu’à 150 milliards d’euros de prêts pour l’achat conjoint d’armement, dès 2026. Ce mécanisme s’inscrit dans une stratégie plus large destinée à combler les lacunes capacitaires, mutualiser les investissements militaires, et limiter le recours aux fournisseurs non-européens.
L’un des éléments essentiels du programme SAFE est la coordination : les achats d’équipements devront impérativement faire l’objet de programmes conjoints, validés par la Commission. Ce mécanisme a pour objectif de rationaliser les dépenses et d’éviter la fragmentation industrielle – une critique récurrente adressée à la politique de défense européenne.
Le flou autour des achats : l’UE financera-t-elle des équipements américains ?
La question fait débat. Car si le principe du programme impose une préférence européenne, aucune obligation formelle n’interdit l’achat hors Union européenne. Comme le rappelle BFMTV, une part significative, voire majoritaire, de ces nouvelles dépenses pourrait profiter aux États-Unis. D’ailleurs, la Maison Blanche a précisé dans un communiqué publié après la conclusion de l’accord avec l’Europe que celle-ci « a accepté d’acheter des quantités importantes d’équipements militaires américains », sans fournir davantage de détails.
Ce flou juridique suscite des crispations. D’après Ouest-France (Lignes de Défense, 30 juillet 2025), le commissaire Andrius Kubilius a déclaré que la Commission européenne restait « déterminée à soutenir les pays de l’UE dans leurs efforts pour renforcer la sécurité européenne ». Ainsi, les garde-fous seront probablement discutés avant novembre 2025, date limite de soumission des projets. En coulisse, l’enjeu est clair : éviter que l’argent européen ne parte renforcer des filières étrangères, au détriment de l’industrie continentale.
Le Royaume-Uni, la Norvège et l’Ukraine pourraient, eux aussi, participer au programme via des contributions extérieures, bien qu’ils ne soient pas membres à part entière du mécanisme SAFE. Une inclusion qui reste conditionnée à des accords bilatéraux et à la validation des États membres.
Vers une nouvelle architecture du financement militaire européen ?
Le plan de financement porté par les 18 pays pourrait devenir une étape charnière dans la construction d’une Europe de la défense autonome. Jamais l’Union européenne n’avait envisagé un tel montant pour des investissements exclusivement militaires. Si la Commission valide l’opération et les projets associés, ce serait une reconnaissance implicite que l’endettement commun ne doit plus être réservé aux seules crises économiques.
Un test de cohérence stratégique pour l’Union européenne
Ce projet de prêts pour l’armement via le mécanisme SAFE pose une double question : l’Europe est-elle prête à mutualiser sa dette pour se réarmer, et surtout, saura-t-elle conditionner cet effort à un renforcement de sa propre industrie ? À l’heure où les tensions s’aggravent à l’Est et où les alliances sont de plus en plus volatiles, la réponse à ces questions pourrait redessiner les contours de la souveraineté européenne.