Chaque semaine, Midi Olympique vous propose de plonger dans les coulisses d’un transfert qui aura marqué l’histoire du Top 14. Cette semaine, retour sur la signature de Will Skelton à La Rochelle à l’été 2020. Une mutation surprise qui a grandement contribué au changement de dimension du club maritime.
Même les projets les mieux pensés, les mieux préparés peuvent avoir besoin d’un coup de pouce du destin. Au début de la saison 2019-2020, le Stade rochelais commençait sérieusement à ressembler à un prétendant aux titres : Victor Vito et Tawera Kerr-Barlow avaient déjà rejoint les rangs maritimes tandis que Brice Dulin et Dillyn Leyds étaient en approche. À ce moment-là, rien ne prédestinait Will Skelton à débarquer du côté de Deflandre pour ce qui allait être, sans nul doute, le transfert le plus impactant de l’histoire du club à la caravelle.
Quelques mois plus tôt, le géant australien, alors âgé de 27 ans, avait d’ailleurs été approché par un autre cador français alors qu’il approchait de la fin de son premier contrat avec les Saracens, paraphé en 2017 : le Stade toulousain. Le Wallaby avait décidé de rester fidèle au club londonien, en signant un nouvel engagement de deux ans, soit jusqu’en juin 2021. À l’époque, les Sarries venaient de réaliser un sensationnel doublé Champions Cup-Premiership. Will Skelton n’avait concrètement aucune raison de jouer ailleurs, comme il l’avait déclaré dans la presse anglaise en août 2019 : « Ma femme est heureuse ici, nous sommes heureux tous les deux. Elle joue aussi au rugby et elle adore ça. Elle prendra cela un peu plus au sérieux l’année prochaine et avoir deux ans est un peu plus de sécurité pour nous en tant que famille. Ainsi, nous pouvons nous concentrer sur d’autres choses que le rugby. » C’était tout du moins ce qu’il pensait alors. Mais, dans la foulée de la défaite du XV de la Rose en finale de la Coupe du monde 2019, un séisme allait ébranler le rugby anglais et changer sa physionomie : en novembre, un cabinet indépendant mandaté par la ligue anglaise affirmait, preuves à l’appui, que les Saracens avaient bafoué les règles du salary cap de 2016 à 2019. Dans un premier temps, le tenant du titre sera sanctionné de trente-cinq points de pénalité au classement et d’une amende record de plus de 5 millions de livres ; quelques semaines plus tard, sa rétrogradation pure et simple sera actée par les dirigeants du Premiership.
Quand Jolmes « bloquait » la venue de Skelton…
À compter de cette décision historique, le vestiaire londonien était devenu une grande braderie. Si plusieurs cadres anglais avaient rapidement décidé de s’engager dans l’opération remontée des Sarries (les frères Vunipola, Maro Itoje, Elliot Daly…), la réalité d’une carrière en avait contraint d’autres à envisager un départ à contrecœur. À commencer par Will Skelton, joueur au profil atypique, rare et, donc, particulièrement prisé. Le Stade rochelais, qui avait érigé le recrutement d’un numéro 5 puissant comme une priorité et avait vu là une aubaine inespérée, avait été le plus prompt à approcher les représentants du joueur. À l’époque, on lui avait également prêté un intérêt pour George Kruis, autre deuxième ligne londonien… Les Maritimes étaient tellement désireux d’accueillir Will Skelton qu’ils avaient même proposé de l’enrôler avec effet immédiat. L’affaire n’avait pu se conclure tout de suite pour une raison précise : le club n’était pas parvenu à se séparer de Thomas Jolmes, condition sine qua non pour libérer une place dans l’effectif.
En conflit avec une partie de l’encadrement et très peu utilisé, l’ancien Grenoblois avait refusé de partir en cours de saison, lui qui suivait des études sur place et était déterminé à finir son année scolaire avant de prendre la direction de Toulon. Quoi qu’il en soit, Will Skelton donna son accord, dès le mois de février, avec, à la clé, un contrat de deux ans. À en croire ses rivaux, le Stade rochelais avait alloué une enveloppe très conséquente pour s’assurer les services du Wallaby, ce que les dirigeants charentais avaient par la suite démenti. À son arrivée à Deflandre, le géant d’Auckland, libéré par les Saracens un an avant le terme de son bail, avait, lui, justifié sa décision par une combinaison de cadre de vie et d’ambitions sportives favorables : « Quelques clubs s’étaient renseignés mais nous avons vu la direction prise par La Rochelle. Nous avons rencontré Vincent (Merling, N.D.L.R.), le président, Jono (Gibbes), Ronan (O’Gara). […] On ne connaissait pas la ville, mais nous sommes venus quelques jours en visite, et cela nous plaisait d’être près de la mer. Surtout, je pense qu’il y a un bon groupe pour faire quelque chose de spécial. C’était un choix facile. »
Un choix gagnant-gagnant qui allait permettre au club à la caravelle de s’adjuger deux Champions Cup et de parvenir à deux reprises en finale du Top 14 ; et à « Big Will » de continuer à écrire sa légende sur de nouveaux territoires. La semaine dernière, à l’heure de commenter les prestations de son joueur face aux Lions britanniques et irlandais, Ronan O’Gara lui avait rendu le plus beau des hommages : « Parfois, vous pensez que vous faites du bon travail en tant qu’entraîneur et, personnellement, la meilleure chose que j’ai jamais faite a été de signer Will Skelton, a-t-il témoigné sur Sky Sports depuis l’Australie. […] C’est tellement fantastique d’avoir quelqu’un comme Will dans sa vie et d’avoir croisé son chemin au rugby. » Grâce à un concours de circonstances ô combien improbable. Et à une bonne dose d’opportunisme…