Par
Léa Pippinato
Publié le
2 août 2025 à 8h24
Grégory Valency, 50 ans, est artisan, entrepreneur, et maintenant fondateur de startup. Autodidacte, il dirige depuis des années le Groupe A’Climatis, une entreprise spécialisée dans les travaux de climatisation qui emploie une cinquantaine de collaborateurs. En 2024, il décide de créer Kelkun, une application qui met en relation les particuliers et les artisans autour de chez eux, basée à Saint-Aunès. L’idée, née de son quotidien de terrain, s’est propagée en quelques mois dans toute la France. 20 000 téléchargements, 8 600 utilisateurs actifs, 3 800 artisans inscrits et 300 demandes mensuelles : retour sur un lancement express, mais maîtrisé.
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Comment est née l’idée de Kelkun ?
Elle est née sur un chantier, très simplement. Je faisais un aller-retour entre Montpellier et Béziers pour une intervention plomberie. Sur l’autoroute, je croise un camion d’artisan… qui venait de Béziers pour aller à Montpellier. Il faisait aussi de la plomberie. On s’est regardés en roulant, et j’ai compris que quelque chose ne tournait pas rond. Pourquoi fait-on 60 km chacun alors qu’il y a sans doute du travail juste à côté de chez nous ? Ce jour-là, je me suis dit qu’il fallait trouver un outil pour rapprocher les artisans des clients, mais aussi des chantiers. Le modèle de Doctolib, Uber ou Booking m’a inspiré. Pourquoi l’artisanat n’avait-il pas son application ? Une vraie. Pas un site de petites annonces.
Je suis artisan depuis dix-sept ans. Je suis encore sur les chantiers tous les matins. Je vis les problèmes du bâtiment au quotidien. Je sais ce que c’est de courir après un devis, de ne pas trouver le bon artisan, de tomber sur quelqu’un de pas sérieux. Kelkun, je l’ai pensée comme une solution que j’aurais aimé avoir moi-même, comme artisan et comme client.
Le projet a grandi très vite. Ce n’était pas prévu, si ?
Pas du tout. À la base, on voulait rester pendant un an à Montpellier, quartier gare, en mode test. Même pas sur toute la ville, encore moins dans toute la région. On avait choisi ce secteur car il nous permettait d’avoir un environnement réduit, maîtrisable. On parle souvent de POC, preuve de concept. C’était exactement ça. Mais dès le début, on a été surpris. Des gens ont essayé de télécharger l’application dans toute la France. Les médias ont commencé à en parler. Le nom, le concept, la comparaison avec Doctolib : tout ça a beaucoup plu. Résultat, on a accéléré. En octobre, soit deux mois après le lancement, on était déjà actifs au niveau national, alors qu’on pensait y aller courant 2026.
Vidéos : en ce moment sur ActuComment avez-vous géré cette montée en puissance soudaine ?
C’est allé très vite, et on a dû s’adapter. Le problème, au début, c’est qu’on n’avait pas encore de réseau d’artisans dans toutes les régions. Les gens faisaient des demandes sur l’appli, mais on n’avait personne à leur proposer. Résultat : beaucoup désinstallaient. C’est là qu’on a compris qu’il fallait recruter des artisans en parallèle de l’ouverture des zones. On a donc commencé un énorme travail de sourcing, d’onboarding, de vérification des profils. Aujourd’hui, on a 3 800 artisans qualifiés, répartis dans tout l’Hexagone, sur 78 corps de métier différents.
C’est colossal quand on sait qu’au départ, on visait seulement cinq métiers, qu’on appelle les « métier piliers » : la plomberie, la climatisation, la serrurerie, la vitrerie et l’assainissement. Ce sont les plus sollicités, notamment en cas d’urgence. Ensuite, on a vu remonter beaucoup de demandes en peinture, plâtrerie, petits travaux, jardinage. Puis des demandes inattendues ont émergé : couturiers, cordonniers, travailleurs du cuir… On a intégré des artisans multiservices, ceux qui ne refont pas une maison entière mais savent monter une étagère, poser un joint, tailler une haie.
Et côté tech, vous avez aussi innové ?
Oui. On a intégré une intelligence artificielle qui facilite les demandes. L’utilisateur n’a pas besoin de savoir s’il faut appeler un plombier ou un plaquiste. Il décrit simplement son problème : « J’ai une fuite au plafond », « Mon lavabo ne s’évacue plus », etc. Et l’IA détermine automatiquement les métiers nécessaires, en croisant ça avec la géolocalisation. Elle privilégie les artisans dans un rayon court, pour éviter les déplacements inutiles. C’est un choix aussi écologique. On ne veut pas qu’un artisan fasse 150 km pour poser un robinet. On est dans une logique RSE, avec une conscience carbone. Et on veut que les pros travaillent près de chez eux
Vous avez aussi lancé une offre B2B ?
Oui, elle s’appelle Kelcare. C’est un logiciel destiné aux professionnels : syndics, bailleurs, assurances, agences. Ils peuvent centraliser toutes leurs demandes d’intervention, et c’est Kelkun qui prend le relais. On gère les interventions avec notre réseau, dans les délais, en assurant qualité et suivi. Ce genre de service n’existait pas dans le BTP. On a été les premiers à occuper ce créneau.
Et côté formation, vous avez créé la Kelkun Academy ?
Oui. Elle est née d’un besoin clair : la montée en compétence des artisans, mais aussi leur accès à la formation. Beaucoup ignorent les aides disponibles, ou les structures comme les Compagnons du Devoir, les CAPEB (Confédérations de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment) ou les Greta (Groupements d’établissements publics). Nous, on joue le rôle de rond-point : on les connecte. Et c’est aussi une histoire personnelle. Mon frère est trisomique. J’ai toujours voulu intégrer la dimension sociale et inclusive dans mes projets. Avec la Kelkun Academy, on propose aussi des formations accessibles aux personnes en situation de handicap, y compris invisible.
On veut accompagner l’artisan de demain : des formations aux normes QualiPV, certifications professionnelles destinées aux installateurs de systèmes photovoltaïques, ou RGE (Reconnu garant de l’environnement), à la facturation, à la relation client, à l’utilisation des outils numériques, aux gestes techniques. Les formations peuvent être en ligne, en présentiel, ou hybrides, selon les partenaires. Et on développe une plateforme de FOAD (formation à distance), pour que ce soit accessible à tous, même en zone rurale.
Et vous, dans tout ça, comment gérez-vous deux entreprises en parallèle ?
En vérité, j’en gère quatre ou cinq (rires). Mais j’ai su m’entourer. J’ai pris un directeur général, une manager, une équipe solide. Je délègue beaucoup, mais je reste au cœur du développement stratégique. Et surtout, je garde un pied dans l’artisanat. Je commence mes journées sur le terrain. C’est ce lien à la réalité qui me permet de construire une application utile, pas théorique.
J’ai appris l’humilité, encore plus qu’avant. Monter une start-up, c’est difficile. Faire connaître une idée qu’on a dans la tête, c’est un vrai défi. J’ai appris aussi à écouter, à me remettre en question. À anticiper les crises, comme celle du bâtiment, la flambée des prix, ou la crise du neuf. Et surtout, j’ai compris que l’humain reste central. Même avec l’IA, la tech, l’automatisation… ce qui rassure, ce qui fonctionne, c’est l’attention humaine. Notre service client rappelle chaque utilisateur. Et ça, aucune machine ne peut le remplacer.
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