LE MATCH DES TUBES (20-40) – Alors que l’époque se tend et les Trente Glorieuses s’achèvent, Delpech et Mitchell, deux piliers de la chanson française, mettent en musique les maux de l’époque.

Comme le chantait Michel Sardou, toujours lui, « La vie, c’est plus marrant, c’est moins désespérant en chantant ». Alors, quand un drame vous frappe, pousser la chansonnette peut être un bon antidépresseur ou une catharsis salvatrice. Face aux menaces du monde – chômage, crise économique ou guerre -, quelques notes de musique permettent de s’évader ou de réfléchir. Michel Delpech et Eddy Mitchell vont révolutionner la variété française en parlant des problèmes du quotidien. « Ce lundi-là » et « Il ne rentre pas ce soir » sont deux chansons qui vont marquer.

En 1975, Michel Delpech est au sommet de sa carrière. Chaque album livre son stock de tubes. Rien ne semble atteindre ce grand chanteur, sauf qu’un mal le ronge en silence : la dépression. Un titre dans « Quand j’étais chanteur » alerte : « Ce lundi-là ». Tout commence avec un bruit de mer, de mouettes et d’enfants, puis le piano se lance. La voix chaude de Delpech a changé. « Quand il est descendu pour acheter des cigarettes, Jean-Pierre savait déjà qu’il ne reviendrait plus jamais. Il a pensé encore à toute sa vie avec Michelle. Et puis il a tourné enfin le coin d’la rue. » C’est une scène de film. L’artiste raconte la crise existentielle d’un marketeux – on ne parle pas encore de burn-out -, mais qui résonne avec sa situation. « Il savait qu’à huit heures la table serait mise, à côté de son assiette il y aurait ses tranquillisants. S’il fallait toutes ces saloperies pour arriver à s’endormir, ce n’était pas la peine d’avoir trente ans. » Le titre, porté par une mélodie sobrement mélancolique, s’écoute autant qu’il s’entend. C’est une leçon de philo ou une psychanalyse sur nos vies effrénées et matérialistes. « Le but de sa vie n’était pas d’avoir un jour un compte en Suisse. Ce n’était pas l’argent qui lui manquait pour être heureux. » Jean-Pierre, c’est en fait Michel : Delpech quitte la scène et abandonne son titre de petit prince de la variété.

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« Être chômeur à son âge, c’est pire qu’un mari trompé »

En 1978, après des années de croissance et de plein-emploi, la France est rattrapée par la crise et le chômage. Le rockeur Eddy Mitchell s’en saisit et raconte la descente aux enfers d’un cadre supérieur licencié. Le titre commence, comme Delpech, par une scène de film. C’est millimétré. « Il écrase sa cigarette puis repousse le cendrier, se dirige vers les toilettes, la démarche mal assurée. Il revient régler ses bières, le sandwich et son café. Il ne rentre pas ce soir. » Viré et désormais sans le sou, le personnage de Mitchell s’interroge : que faire ? Annoncer à sa femme et à son banquier « la sinistre vérité » ? « Être chômeur à son âge, c’est pire qu’un mari trompé. » Et comment payer l’école privée des enfants, les parties de golf, etc. Un monde s’effondre. « Schmoll » livre une prestation tout en sobriété, portée par des chœurs bien inspirés. La mélodie est léchée et offre une ambiance nocturne jazzy. La chanson est un grand succès.

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Qui remporte le titre de meilleur antidépresseur musical ? Si « Ce lundi-là » fait partie des meilleures pièces de l’œuvre de Delpech, « Il ne rentre pas ce soir » est la photographie d’une époque et d’un monde qui change. Avec le deuxième choc pétrolier, la France a basculé dans une période d’incertitude et de secousses. La fin de l’insouciance. C’est fini, « boogie woogie ».

Les autres rounds

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« Les Ballons rouges » vs « Les Vacances au bord de la mer »
« Le Chasseur » vs « La Corrida »
« Partir » vs « Je pars (le vol de nuit s’en va) »
« For me, formidable » vs « Djadja »
« Mon Vieux » vs « Papaoutai »
« Rap-tout » vs « Ma liberté de penser »

« Tirelipimpon » vs « Une p’tite pipe Hourra ! »
« Le Roi David » vs « Laura »
« Que je t’aime » vs « Quand tu m’aimes »