La liste des plateformes de vente en ligne soupçonnées d’enfreindre les règles de l’Union européenne ne cesse de s’allonger. Le dernier ajout en date : Temu. La Commission européenne estime que le site chinois n’évalue pas correctement les risques liés aux produits illégaux qu’il vend sur son site, notamment des jouets pour bébés et des petits produits électroniques. Pour cela, elle compte utiliser la loi sur les services numériques.
« La Commission a adopté une décision préliminaire en vertu de la loi sur les services numériques en ce qui concerne Temu. Nous avons annoncé à cette place de marché en ligne que, selon nous, elle ne respectait pas la loi sur les services numériques en ce qui concerne les risques liés à la vente et à la diffusion de produits illégaux sur la place de marché » affirme Thomas Regnier, porte-parole de la Commission.
« Le DSA est l’un de nos outils pour protéger les consommateurs à travers l’Europe. Pour les protéger de quoi, lorsqu’il s’agit de places de marché en ligne ? Des produits illégaux vendus en ligne. Des contenus algorithmiques qui vous sont envoyés et dont vous ne déterminez même pas si vous voulez les voir ou non. Lorsqu’il s’agit, par exemple, de publicité ou de gamification de certains systèmes sur ces plateformes en ligne. Ce sont des risques que nous devons atténuer. Pour protéger nos consommateurs en ligne », ajoute-t-il.
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Pas seulement Temu
L’enquête s’inscrit dans un contexte plus large de préoccupations liées au fait que certains site en ligne permettent la vente de biens qui ne répondraient pas aux normes de sécurité ou de réglementation de l’UE s’ils étaient vendus dans des magasins physiques. Jusqu’à présent, la Commission a ouvert 14 procédures à l’encontre de 10 plateformes en ligne, dont Temu. Chaque procédure porte sur différents aspects de la conformité, allant de la sécurité des produits à la modération des contenus et à la protection des mineurs.
Les procédures en cours concernent notamment X, qui a fait l’objet de conclusions préliminaires concernant son respect des obligations relatives à la « diffusion et à l’amplification de contenus illicites ».
Des procédures sont également en cours à l’encontre de Tik Tok concernant, entre autres, sa gestion des risques liés à la création d’une dépendance et aux contenus préjudiciables. La protection des mineurs, qui a fait l’objet de conclusions préliminaires, et l’intégrité des élections sont également dans le collimateur. L’affaire TikTok Lite a été classée après que TikTok a proposé des engagements.
La Commission a constaté qu’AliExpress ne prenait pas suffisamment de mesures pour lutter contre les produits illégaux. L’entreprise chinoise a finalement proposé des engagements et la Commission a émis des conclusions préliminaires sur d’autres griefs.
Selon un dossier en cours, les services de Meta, Instagram et Facebook, font également l’objet d’un examen approfondi dans des affaires liées à la protection des mineurs et à l’intégrité des élections.
Enfin, les sites pornographiques Stripchat, Pornhub, XNXX et Xvideos font l’objet d’une procédure relative à la protection des mineurs.
Les groupes de consommateurs appellent à l’action
Cette vague d’enquêtes intervient dans un contexte de pression croissante de la part des groupes de protection des consommateurs, qui estiment que e DSA doit être soutenue par une mise en œuvre réelle pour avoir un impact significatif.
« Les conclusions préliminaires de la Commission européenne sur Temu constituent une première étape positive pour les consommateurs européens. L’année dernière, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) a déposé une plainte contre Temu parce qu’ils ne font pas assez pour protéger les consommateurs contre les produits illégaux et dangereux qui peuvent être achetés sur leur site Internet », explique Agustín Reyna, directeur général du BEUC.
« Ce qui est en jeu, c’est la sécurité des consommateurs. En effet, lorsque les consommateurs achètent quelque chose en ligne, ils s’attendent à ce que ce soit sûr. Ils ne se demandent pas si des produits chimiques illégaux sont utilisés dans la production de ces biens, ou si un certain produit ou appareil ménager peut exploser, ou si un enfant peut s’étouffer avec un jouet. Ils s’attendent à ce que le produit soit sûr, quel que soit son prix, mais ils s’attendent à ce qu’il soit sûr. Ce que nous avons identifié avec nos membres de toutes les organisations nationales de consommateurs – qui ont mené des enquêtes mystères, testé ces produits par l’intermédiaire de Temu – c’est qu’il est possible d’acheter et d’être exposé à une quantité importante de produits illégaux. Aujourd’hui, l’entreprise ne fait pas assez pour protéger les consommateurs », ajoute-t-il.
Selon l’organisation de consommateurs, le défi consiste maintenant à faire appliquer la loi. La législation est en place depuis près d’un an et demi, mais jusqu’à présent, aucune enquête de la Commission n’a été menée à bien et aucune sanction n’a encore été imposée.
Pourtant, ces plateformes devenant très populaires auprès des Européens, il est urgent de se pencher sur la question. « Pour vous donner une idée, le nombre de colis qui entrent dans l’UE par Temu double chaque année. Il s’agit donc d’un nombre important de produits non conformes qui entrent dans l’UE. Et les consommateurs ne le savent pas », estime le directeur du BEUC.
La France s’apprête à réglementer la « fast fashion »
L’enquête sur Temu intervient également à un moment où les États membres de l’UE redoublent d’efforts pour réglementer la fast fashion, un modèle commercial qui, selon de nombreux experts, alimente la surconsommation, nuit à l’environnement et exploite des zones d’ombre juridiques.
En mai 2024, la France a proposé une législation novatrice visant les plateformes de fast fashion. Le gouvernement français a explicitement cité des entreprises telles que Temu et Shein comme exemples de plateformes perturbant les efforts de durabilité, en utilisant un marketing agressif sur les médias sociaux et des jeux d’achats pour encourager les achats impulsifs et la culture du jetable.
Bien que la proposition française soit encore en cours de négociation, elle reflète un consensus croissant sur le fait que la fast fashion – en particulier lorsqu’elle est distribuée par des plateformes en ligne non réglementées – pose non seulement des risques pour la sécurité des consommateurs, mais aussi de graves problèmes environnementaux et sociaux.
Il semble qu’une réponse européenne soit nécessaire à un problème mondial. La convergence des problèmes – de la vente illégale de produits à la destruction de l’environnement – a suscité des appels en faveur d’une réponse plus unifiée de l’UE. Les experts estiment qu’il n’est plus possible de s’appuyer sur une application nationale fragmentée face à des plateformes mondiales qui opèrent au-delà des frontières, en grande partie sans contrôle. Comme l’affirme Agustín Reyna, »l’Europe ne peut pas gagner cette bataille un pays à la fois ». La loi sur les services numériques est un début. Mais pour beaucoup, ce n’est qu’un début.