L’autre jour, chez Vaugeois, je disais à la libraire Marie-Hélène que ça faisait un bout que je n’avais pas été soufflé par un roman québécois. Son visage s’est illuminé.
Publié à 7 h 15
« Viens, viens ici, je vais t’en montrer un », a-t-elle dit en m’entraînant jusqu’au rayon des livres de poche de la librairie de Québec. Elle a pris un tout petit ouvrage, Soigne ta chute de Flora Balzano, publié récemment chez Bibliothèque québécoise (BQ), et me l’a tendu.
« C’est vraiment un bon roman. »
J’avais lu la chronique de la collègue Chantal Guy sur ce roman culte1. Paru en 1991, ce texte à l’humour acide a connu un vif succès commercial et critique. Introuvable depuis longtemps, BQ vient de le rééditer en poche.
Ma bibliothèque couvre trois murs. Une immense fenêtre perce le quatrième. Des livres et de la lumière me suffisent comme décor. Je ne sais pas comment vous gérez votre bibliothèque, mais moi, je range les ouvrages par maisons d’édition. Je trouve ça plus joli.
J’ai donc placé le livre de Balzano avec les titres de BQ, à côté de ceux de Claire Martin, de Marc Séguin, Hadassa de Myriam Beaudoin, dont j’aime l’œuvre, le très beau Pieds nus dans l’aube de Félix Leclerc, Trou de mémoire d’Hubert Aquin et les deux romans de Guillaume Vigneault. Ça ne fait qu’une dizaine de livres. Il y a aussi quelques titres de Boréal Compact, trois Gabrielle Roy, des livres de Marie Laberge et de Dany Laferrière.
Ma bibliothèque compte près de 400 romans de poche, mais moins de 20 publiés ici. Comment est-ce possible ? Parce que les éditeurs français dominent le marché du livre de poche au Québec.
Le livre de poche a vu le jour en Grande-Bretagne en 1935, quand Penguin Books a voulu proposer des romans de grands auteurs dans un format compact et pas cher. La France a emboîté le pas dans les années 1950. Mais le milieu littéraire a grincé des dents. Est-ce que ce sont de vrais livres et de vrais lecteurs ? se demande Jean-Paul Sartre.
Et en la rendant accessible au plus grand nombre, le petit format ne dévalorise-t-il pas la littérature ? Oui, Sartre était snob. Il trouvait le livre de poche vulgaire et il n’était pas le seul. Mais le grand homme a changé d’idée quand les milliers de livres de poche qu’il vendait ont commencé à doper son compte de banque. Money talks, comme on dit au Café de Flore.
PHOTO FRANÇOIS BOUCHON, FOURNIE PAR CÉCILE BOYER-RUNGE
Cécile Boyer-Runge, directrice générale des Éditions Points
« Le livre de poche est vraiment entré dans les mœurs en France », estime Cécile Boyer-Runge, directrice générale des Éditions Points, un des géants français. « Il a réussi à s’insérer dans la chronologie de l’édition française. Un roman paraît en grand format, puis en poche, et les gens attendent le poche. »
Non, personne ne se moque des livres de poche de nos jours dans l’Hexagone où plus d’un livre vendu sur quatre l’est en poche. Les éditeurs comme Points ont des stratégies de mise en marché et de présentation élaborées. Les couvertures sont soignées, le papier est beau. Le vilain petit canard a bien changé en grandissant.
C’est la consécration pour un auteur de voir ses livres publiés en poche, car pour ça, il faut qu’il ait vendu beaucoup de livres. Et ça pérennise son œuvre.
Cécile Boyer-Runge, directrice générale des Éditions Points
Le poche a même deux salons du livre qui lui sont consacrés. Lire en poche à Gradignan, près de Bordeaux, et Créteil en poche, en banlieue de Paris, où 200 autrices et auteurs étaient présents à la dernière édition.
Au Québec, la réalité est différente. Les droits des best-sellers internationaux appartiennent d’habitude à des maisons étrangères. Ça oblige les éditeurs québécois à se replier sur leur propre production. Plusieurs maisons ont des collections de poche, mais le format n’est pas mis en valeur autant qu’il l’est en France.
Certains éditeurs québécois tentent de renverser un peu la vapeur. Boréal vient de revamper sa collection Boréal Compact. Quatre titres inaugurent la nouvelle grille graphique, dont Les crépuscules de la Yellowstone de Louis Hamelin, en librairie dès le 5 août.
Québecor bouge aussi et abandonne la collection 10/10. Désormais, les titres de ses maisons d’édition, dont VLB éditeur, De L’Homme et Stanké, seront publiés en poche chez Typo, où on a aussi revu le format et la présentation. Onze premiers titres ont paru en mai, dont les polars Nous étions le sel de la mer, de Roxanne Bouchard, et Le cri du cerf, de Johanne Seymour.
« Beaucoup d’éditeurs québécois publient leurs propres livres en poche », explique Martin Balthazar, directeur principal du Groupe Ville-Marie (du secteur livre de Québecor Média). « Notre objectif est d’offrir à d’autres éditeurs de publier chez Typo leurs poches. De créer une synergie. »
Est-ce que le Québec va réussir à se tailler une place digne de ce nom dans le marché ? On essaie, dit Martin Balthazar.
Le poche va donner plus de visibilité aux autrices et auteurs. Leurs livres se retrouveront dans deux endroits en librairie, avec deux livres mis en marché.
Martin Balthazar, directeur principal du Groupe Ville-Marie
« Quand tu vois un roman et que tu aimes la couverture, tu le prends, tu lis la quatrième, dit Cécile Boyer-Runge. Si ça te plaît et que le livre coûte 25 euros, tu vas peut-être hésiter. Si c’est 8 euros, tu as de bonnes chances de l’acheter. Peut-être en acheter deux. Le poche est souvent un achat impulsif. »
La libraire Marie-Hélène Vaugeois se réjouit de l’augmentation de l’offre québécoise. « On dit souvent que les jeunes ne lisent pas. Mais ça n’est pas vrai. Ils lisent, et beaucoup de livres de poche. »
Money talks. Dans le 6e arrondissement comme rue Maguire à Québec.
1. Lisez « La renaissance de Soigne ta chute »