Voici un passionnant hommage au peintre français, jadis incontournable, qui multiplia les expérimentations et se singularisa par sa personnalité extravagante et passionnée. Un voyage nostalgique…
Retour en grâce pour Georges Mathieu (1921-2012), un artiste relativement oublié de nos jours mais qui sut marquer son époque par sa créativité débordante. En témoigne la somme variée d’œuvres rassemblées à la Monnaie de Paris, qui lui rend actuellement un superbe hommage en collaboration avec le Centre Pompidou. « Il faut se souvenir qu’il était partout au milieu des années 1970 », témoigne Éric de Chassey, commissaire du parcours avec Christian Briend et Béatrice Coullaré, à propos de cet éminent représentant de l’abstraction lyrique.
« À commencer dans nos poches, puisqu’on lui doit notre ancienne pièce de 10 francs. À la télévision aussi : le sigle d’Antenne 2, c’était lui. Sans oublier le trophée des 7 d’or. On le retrouvait également sur les timbres, les bons du Trésor, les étiquettes de champagne, les affiches d’Air France, la vaisselle de l’Élysée… » Citer les terrains où cet autodidacte ne s’est jamais aventuré serait presque plus simple… « Il cherchait sans cesse à se renouveler », confirment les experts.
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Écriture incomparable
Proche par certains aspects de Salvador Dalí (moustache, accoutrements de dandy, vocabulaire haut en couleur, sens du spectacle…), l’homme aimait la démesure. Démonstration avec trois imposantes compositions – exécutées dans les années 1950 – si caractéristiques de son style inimitable. Il y livrait sa vision, tout en mouvements spontanés, d’événements clés de l’histoire de France. La présentation de La Bataille de Bouvines, La Victoire de Denain et Les Capétiens partout ! constitue une spectaculaire entrée en matière. D’où lui venait cette inspiration totalement débridée ? La réponse ne tarde pas. La section dédiée à la période dite des Limbes évoque l’influence du peintre allemand Wols (1913-1951). « Mêmes moyens techniques : les taches, les coulées, les projections », assurait cet esprit indépendant et provocateur.
La preuve avec cette nouvelle série de peintures faisant la part belle à des graphismes de couleur noire transpercés d’éclats rouges directement sortis du tube. « Désormais, l’artiste s’inspire pour ses titres de figures ou d’épisodes tirés du passé médiéval de la France, renouant paradoxalement avec une peinture d’histoire pourtant déconsidérée par la critique », note Christian Briend. Sa personnalité se dessine de plus en plus. « C’était un homme de contradictions, poursuivent les spécialistes. Il était sérieux et plein d’humour, il était avant-gardiste et monarchiste, il regardait beaucoup ce qui se passait autour de lui, mais jetait un œil critique sur ses contemporains à l’exception de Wols… » Les États-Unis n’ont pas échappé à son courroux. L’histoire partait pourtant sous les meilleurs auspices. Messager entre les scènes française et américaine, cet admirateur de Pollock a su séduire les grands musées… avant d’être rejeté par les mêmes quelques années plus tard. Il en gardera une profonde amertume.
Le premier calligraphe occidental
André Malraux
Changement de décor : des éléments figuratifs apparaissent dans son travail pour Air France. Même constat devant sa toile intitulée La Libération d’Orléans par Jeanne d’Arc, unique en son genre. Ce membre de l’Académie des beaux-arts possédait pareillement une jolie plume. Des manuscrits dévoilent son écriture incomparable, digne d’un dessin. « Le premier calligraphe occidental », jugeait André Malraux. Au milieu des années 1960, des lignes géométriques surgissent dans son œuvre. Un style approprié pour décrire le progrès technique et industriel des Trente Glorieuses, immortalisé par ses soins sur le revers de la célèbre pièce de 10 francs. Et comment oublier son goût pour la télévision (« un outil prodigieux » selon ses dires), où il se mettait volontiers en scène ? « Il fut l’inventeur de la performance », concluent les organisateurs.
« Georges Mathieu. Geste, vitesse, mouvement », Monnaie de Paris, Paris 6e.. Jusqu’au 7 septembre.