Publié le
2 août 2025 à 18h06
Au bord du canal Saint-Martin, deux touristes flânent sous un ciel triste. Leur regard oblique vers l’eau se tourne soudainement vers une scène peu commune. Sous un immeuble morne de plusieurs étages, balafré de rose, un rectangle délimité par des grillages et cerné d’un skate park accueille plusieurs points repérables à leur short et leur maillot bariolés. Le bruit des ballons ne constitue pas l’unique indice d’un rassemblement spontané. Près d’un arbre volumineux, le son des basses émanant d’une enceinte de grande taille caresse les oreilles. Au 142 quai de Jemmapes, dans le 10e arrondissement de Paris, en cet après-midi de juillet 2025, le rap a fait main basse sur le playground, sans que personne ne pipe mot. « De toute façon, ça parle tout le temps ici. Il faut que ça soit bruyant. Il y a un peu de copie avec la culture US », explique Momo, 25 ans. Depuis plusieurs années, la petite surface de streetball (basket de rue, NDLR) a conquis les amoureux du basket lassés des conventions et des règles du cousin en salle.
La « Baltizone » et ses règles
Au gré du soft-power orchestré par la ligue nord-américaine NBA et de l’effacement progressif des barrières numériques, la balle orange s’est massivement invitée dans les quartiers de la capitale. Avec sa localisation centrale, à proximité de la gare de l’Est, et son cadre relativement protégé du vacarme occasionné par le trafic automobile, le terrain de basket de Jemmapes attire de nombreux joueurs.
« Ici, tu sais que tu fais partie d’une communauté ouverte. On t’accepte comme tu es. Que tu sois nul ou fort, tu as juste la passion du sport. On ne fait pas de différence »
Kim, 25 ans
Habitué du terrain de basket de Jemmapes, résident à Rosny-sous-Bois
Cet ancien habitant de New-York vient deux fois par semaine à Jemmapes, aussi surnommé « Baltizone », en référence à la ville étatsunienne. Il n’hésite pas à tracer un pont entre les terrains américains et Jemmapes. « Cela se ressemble beaucoup. On se chambre tout le temps et on n’hésite pas à faire comprendre à l’autre que tu viens pour tout donner ».
En quelques heures, les exemples ne manquent pas. Railleries amicales, gestes obscènes… Toute la panoplie du trash talking (en français, chambrage) est déployée pour perturber les adversaires. Petit manieur de ballon doué et tireur adroit, Fayçal a le don pour irriter. « Je ne viens pas du basket classique. Moi j’ai appris dans un quartier à Lille (Nord), où on doit se débrouiller comme on peut », confesse-t-il après une partie endiablée.
Avec ses grillages, ses arbres et son revêtement bitumé, le terrain de Jemmapes est assez éloigné du parquet classique. (©AG/ actu Paris)
Qu’importent les moyens employés, chacun épouse les codes du respect et de la convivialité. Même les nouveaux s’adaptent sans rechigner.
« Tout le monde est sympa. On reste plusieurs heures à discuter avec des gens qu’on ne connaît pas, c’est cool »
Logann, 19 ans
Basketteur amateur originaire de la Seine-et-Marne
Un vecteur de lien social
De cette ambiance relâchée et fraternelle, naissent parfois des amitiés de longue date. À 23 ans, Ismaël, qui habite le 11e arrondissement, est un habitué du terrain depuis une décennie. « J’ai presque tous mes amis ici. Je ne peux pas passer une journée sans venir. Parfois, on organise des barbecues en été », indique-t-il.
Pour la Ville de Paris, cet ancrage social et cette popularité forment un continuum d’intérêt public. C’est la raison pour laquelle, en septembre 2020, elle a décidé de rénover l’équipement avec l’aide des artistes Étienne Bardelli et Tristan Baraduc. Naturellement, la NBA s’est engagée dans ce projet, intéressée par les retombées économiques et culturelles.
Un immeuble sans cachet toise le terrain. Aucun problème pour les mordus de la balle orange. (©AG/ actu Paris)
Pour comprendre les enjeux, il faut dépasser le simple cadre du réel et se connecter sur les réseaux sociaux. Plusieurs influenceurs ont publié des contenus relatifs à Jemmapes. Du freestyleur Brisco, champion du monde de freestyle basket, à Grayson Scott « The Professor » Boucher, une légende de la discipline, toutes les figures d’autorité ont foulé le bitume près du canal Saint-Martin. Symbole de sa résonance, le terrain dispose même d’un compte Instagram, le «_144 » auquel sont abonnées quelque 77 000 personnes.
Stars NBA et réseaux sociaux
Une communauté puissante, abondamment alimentée par les adolescents. « J’ai entendu parler du terrain sur TikTok et Instagram. C’est juste la deuxième fois que je viens », nous confesse Kaïs, 14 ans, presque embarrassé dans cet environnement majoritairement fréquenté par de jeunes adultes.
« Le terrain se prête bien aux vidéos. C’est super cool »
Daniel, 16 ans
Cette notoriété a même murmuré à l’oreille des meilleurs basketteurs français. En 2020, le champion NBA Tony Parker avait affronté des professionnels et des amateurs dans un événement organisé avant les Jeux olympiques de Tokyo. L’ex-pivot Kévin Séraphin, passé par la ligue nord-américaine durant plusieurs saisons, a également mis les pieds dans ce playground. Et, selon plusieurs habitués, l’un des dirigeants du club champion de France, Paris Basketball, Amara Sy s’y rend occasionnellement.
Toutefois, le terrain de Jemmapes échappe parfois aux mises en scène virtuelles. Car il conserve une fonction éducative pour les collégiens du 10e arrondissement. En juin dernier, des élèves de trois établissements scolaires Valmy, la Grange-aux-Belles et de Seligmann, ont exposé des œuvres dans le cadre du dispositif Action collégiens. Une manière de relier art, sport et éducation.
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