les joies de la création, mais aussi ses difficultés, ses aléas et son apprentissage. Coline Serreau, que l’on connaît notamment au cinéma pour son travail d’actrice et réalisatrice, scénariste et dialoguiste, est montée seule sur scène face au public du Festival des Tragos. Son spectacle La Belle Histoire de Coline Serreau explore de multiples facettes de cette artiste libre, dont le travail n’a rien d’unidimensionnel. « Les gens me connaissent surtout au cinéma, mais ils ne savent pas à quel point j’ai fait d’autres choses, raconte-t-elle. J’ai été musicienne, circassienne et j’ai fait énormément de théâtre, évidemment, mais j’ai aussi beaucoup écrit et dirigé des opéras. Ce spectacle, c’est un peu pour dire tout ça, et c’est aussi l’envie de partager des moments de joies et de critiques, en filigrane. »
Cet itinéraire artistique foisonnant commence dès ses plus jeunes années. Il y a sa famille, « très cultivée, mais fauchée » et sa scolarité heureuse à l’école de Beauvallon, lancée par Marguerite Soubeyrand en 1929, une pionnière de la pédagogie active. « Ces gens étaient formidables et leur philosophie m’a beaucoup inspirée. » Dans son spectacle, Coline Serreau se souvient avec tendresse des « cinq minutes de cultures » proposées chaque matin pour découvrir une œuvre. « C’est ce qui reste aujourd’hui », affirme-t-elle sur scène, pour elle et pour nombre d’anciens élèves, qui avaient aussi la liberté de faire entendre leurs voix démocratiquement, de jouer pieds nus et de grimper aux arbres, en pleine nature. Ce goût pour la hauteur des cimes lui a donné la force physique nécessaire pour progresser ensuite dans sa passion du trapèze lorsqu’elle entre à l’École nationale de cirque en 1977, fondée par Annie Fratellini et Pierre Étaix en 1974. Une étape qui, parmi bien d’autres, marquera son appréhension du jeu et de l’écriture, traversée par un goût pour l’humour et le mélange des genres, comme lorsqu’elle travaille avec des danseurs de hip-hop pour des spectacles sous le chapiteau d’un cirque ou à l’opéra Bastille. Elle en montre d’ailleurs des extraits vidéo au public, qui s’égrainent parmi d’autres moments filmés sur les coulisses de ses tournages au fil de son seule en scène.
« Chaque art est là pour dire quelque chose. Il y a des choses qu’on peut dire avec un art, et d’autres qu’on peut dire avec un autre. Moi, je n’ai jamais accepté de me limiter à quelque chose », tranche l’artiste.
« Le public m’apprend mon métier »
S’il s’articule entre la parole, le geste et la vidéo, le spectacle « est tout le temps en évolution, explique Coline Serreau. Avec le public, c’est au quart de ton près, je m’ajuste en fonction de la manière dont il réagit, non pas pour simplement lui plaire, mais pour le toucher le mieux possible. Le public m’apprend mon métier, c’est lui qui m’apporte. Le spectacle vivant est irremplaçable. Au cinéma, on apprend une fois tous les trois ans mais quand on joue, on apprend tous les soirs. »
Ce que cherche avant tout l’artiste, c’est relier sa vie avec celle des gens « par l’humour, par l’autodérision. Il y a une philosophie derrière tout ça, qui n’est pas verbalisée. Les gens la sentent ensuite ou ne la sentent pas ».
Si Coline Serreau nous montre les crises de fous rires sur les plateaux de cinéma ou raconte une représentation ratée d’Othello de façon désopilante, les choix qu’elle opère dans le « matériau énorme » de son expérience, comme elle l’appelle, tiennent souvent d’une perspective critique sous-jacente.
Pour l’extrait vidéo du numéro de trapèze qu’elle réalise dans La Belle Verte (1996) et dont elle montre un passage sous différents axes dans le spectacle « j’avais 48 ans, se souvient-elle. C’est donc aussi intéressant de voir qu’on peut tout à fait être une athlète. La vie ne s’arrête pas, comme c’est le cas parfois pour les danseurs et les sportifs, à 30 ans. Ce qui est beau, c’est de faire travailler son corps dans le plaisir, dans l’harmonie. C’est ça, qui est beau. »
D’autres thématiques sociales qui lui sont chères innervent le spectacle: l’artificialisation des sols et l’appauvrissement de la terre, mais aussi les questions de charges mentales, de carcans viriles et d’autonomie revendiquée, comme lorsqu’elle reprend la tirade de Maria Pacôme dans La Crise (1992), pour le plus grand bonheur du public. S’il ne reviendra pas dans le Sud, le spectacle voyagera pour une grande tournée jusqu’à 2027, ce qui laisse l’opportunité de le découvrir au détour d’un voyage.