Opioïdes synthétiques –
L’Europe fait face à la pire crise sanitaire depuis le sida
Encore plus puissants que le fentanyl, les nitazènes font des ravages en Europe. Les autorités peinent à contenir cette nouvelle menace.
Publié: 01.08.2025, 17h25
Une nouvelle génération d’opioïdes très dangereux se répand en Europe. Ils ont déjà fait des centaines de morts.
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- Les nitazènes sont une nouvelle génération d’opioïdes synthétiques extrêmement dangereux. Ils ont déjà fait des centaines de morts.
- Les analyses toxicologiques ne parviennent généralement pas à les détecter de manière fiable.
- La Suisse est jusqu’à présent peu touchée par cette drogue.
Dans la seconde moitié des années 50, la société bâloise Ciba a mis au point les nitazènes, destinés à être utilisés comme analgésiques. Cependant, leurs effets secondaires se sont rapidement révélés inacceptables. Des études ont montré qu’ils pouvaient provoquer des troubles respiratoires potentiellement mortels. C’est pourquoi ces substances n’ont jamais été utilisées en médecine humaine ou vétérinaire.
Malgré cela, les nitazènes ont commencé à apparaître sur le marché des drogues à partir de 2019. L’isotonitazène, un opioïde de synthèse particulièrement puissant de la famille des nitazènes, a été le premier de cette catégorie à être vendu sur le darknet. Il a été identifié par la police scientifique à la suite de décès survenus en Suisse et au Canada.
Aujourd’hui, les experts de la santé et les responsables politiques tirent la sonnette d’alarme. Ces substances dangereuses, souvent présentes sous forme d’impuretés dans des médicaments contrefaits ou dans des drogues récréatives, se propagent rapidement en Europe. Les nitazènes ont déjà causé la mort de plusieurs centaines de personnes. Les autorités et les scientifiques s’efforcent de les détecter par le biais d’analyses toxicologiques afin de freiner leur propagation.
Fait particulièrement préoccupant, de nombreux consommateurs ingèrent ces nouveaux opioïdes sans même en avoir conscience. Les nitazènes sont fréquemment mélangés à des pilules illégales ou retrouvés comme contaminants dans l’héroïne, la cocaïne, la kétamine ou l’ecstasy. Les usagers croient pourtant consommer des substances connues.
Les nitazènes en Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, au moins 400 décès ont été attribués aux nitazènes en l’espace de dix-huit mois. Les autorités et les associations d’aide aux toxicomanes parlent déjà de la plus grave crise sanitaire depuis l’épidémie de sida dans les années 80. Les cas d’overdoses se multiplient. À Dublin, près de 80 personnes ont dû être traitées en urgence en un seul week-end. À Londres, plus de 30 overdoses ont été enregistrées en quelques jours au mois de mars.
La National Crime Agency du Royaume-Uni a averti qu’«il n’a jamais été aussi dangereux de prendre des drogues», en partie à cause des nitazènes.
Prise de contact avec les trafiquants
Le «Wall Street Journal» a mené une enquête sur les nitazènes. Les résultats sont alarmants. Le journal révèle un marché mondialisé, dans lequel il est extrêmement facile de se procurer des opioïdes synthétiques et de les faire parvenir en Europe.
Des fournisseurs chinois vendent leurs produits au grand jour. Leurs profils affichent parfois des photos de jeunes femmes, ainsi que des numéros de téléphone, des comptes sur les réseaux sociaux et des adresses commerciales en Chine ou à Hong Kong. Si certaines substances sont présentées comme des «produits destinés à la recherche», de nombreux profils font clairement la promotion des nitazènes.
Sur la plateforme de commerce en ligne pakistanaise Tradekey, les journalistes ont recensé près de 100 profils de vendeurs, proposant différents types de nitazènes. Quatre d’entre eux ont confirmé qu’ils pouvaient livrer n’importe quelle quantité en Europe et qu’ils savaient comment contourner les contrôles douaniers.
Une politique de tolérance zéro
Selon un porte-parole, Tradekey applique une politique de tolérance zéro envers ce type de substances. Il indique que plusieurs nitazènes ont été ajoutés à une liste noire et que des centaines de comptes ont été suspendus. L’entreprise reconnaît toutefois que «certains produits interdits peuvent parfois passer entre les mailles du filet». Elle affirme travailler à un nettoyage régulier de la plateforme et coopérer avec les autorités.
Des experts craignent que les cartels internationaux de la drogue, basés notamment en Albanie, en Turquie ou au Mexique, ne se lancent de plus en plus dans le trafic de nitazènes. L’agence fédérale américaine chargée de lutter contre le trafic de drogues a mis en garde contre le risque que des cartels mexicains exploitent leurs liens existants avec des fournisseurs chinois pour faire entrer ces substances aux États-Unis. En cas de pénurie d’héroïne — comme cela s’est produit à la suite de l’interdiction de la culture du pavot en Afghanistan en 2022 — la situation pourrait également se détériorer en Europe.
L’Estonie en première ligne
Après la première interdiction de culture du pavot imposée par les talibans en 2000, l’héroïne est devenue rare et le fentanyl a inondé le marché estonien de la drogue. En l’espace de deux ans, les décès liés à cette drogue ont quadruplé. Entre 2007 et 2017, l’Estonie a enregistré les taux d’overdoses les plus élevés d’Europe. Depuis 2023, près de la moitié des décès liés à la drogue sont désormais attribués aux nitazènes.
Les analyses toxicologiques ne détectent généralement pas les nitazènes, qui sont pourtant jusqu’à 250 fois plus puissants que l’héroïne. Elles sont conçues pour détecter des opioïdes classiques, comme la morphine, le fentanyl ou la méthadone.
De nouveaux dérivés sont constamment développés pour contourner les réglementations en vigueur. Faute de suivi systématique, les experts estiment que les chiffres officiels sous-estiment largement l’ampleur du phénomène. De nombreux décès sont classés comme des «arrêts cardiaques inexpliqués», alors qu’ils pourraient être liés à des pilules contaminées.
Des morts aussi en Afrique de l’Ouest
Charles Yates, vice-directeur de la National Crime Agency du Royaume-Uni, a expliqué au «Wall Street Journal» que des trafiquants achètent des nitazènes puissants à bas prix, puis les mélangent avec des agents de coupe comme la caféine ou le paracétamol. Cela permet d’augmenter le poids du produit et de maximiser les profits.
Rien qu’aux États-Unis, où le fentanyl domine le marché des opioïdes, les nitazènes ont été détectés dans au moins 4300 saisies de drogues depuis 2019. La plus souvent, ils sont présents dans des mélanges contenant du fentanyl.
Les nitazènes font également des ravages en Afrique de l’Ouest. On les retrouve dans le «kush», une drogue de synthèse responsable de milliers de morts. Les autorités ont déclaré un état d’urgence nationale en Sierra Leone et au Liberia.
La situation en Suisse
Le site de la fondation Addiction Suisse ne donne aucune information sur les nitazènes. On peut seulement y lire que la Suisse a été peu touchée par l’arrivée de substances de la famille du fentanyl. L’an dernier, la fondation a déclaré à la SRF que ces substances n’étaient pas un sujet de préoccupation majeure en Suisse. Elle a toutefois reconnu qu’il est possible que certaines personnes en aient déjà consommé, notamment en achetant sur internet de l’héroïne ou des analgésiques auxquels cette substance mortelle aurait été ajoutée.
Traduit de l’allemand par Laura Antonietti.
Urs Nagel ist seit 2018 Sitemanager und Nachrichtenjournalist bei der Redaktion Tamedia. Zuvor hat er bei mehreren Schweizer Medien als News-Redaktor gearbeitet.Plus d’infos
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