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Zolan Kanno-Youngs
The New York Times
(Washington) Malgré un ralentissement au cours du premier semestre, l’économie américaine se porte assez bien. Pourtant, lorsque le rapport sur l’emploi de juillet a révélé un ralentissement des embauches, vendredi, Donald Trump s’est emporté.
Le président a affirmé que les chiffres étaient truqués avant de licencier Erika McEntarfer, la commissaire du Bureau of Labor Statistics, l’agence gouvernementale à l’origine du constat.
PHOTO U.S. BUREAU OF LABOR STATISTICS, FOURNIE PAR REUTERS
Erika McEntarfer, la commissaire du Bureau of Labor Statistics licenciée par Donald Trump
Dmitri Medvedev était naguère président de la Russie, mais il n’est aujourd’hui guère plus que le troll en ligne préféré du Kremlin.
Pourtant, lorsqu’il a irrité M. Trump avec des messages provocateurs sur le nucléaire, ce dernier, déjà de plus en plus contrarié par le refus du président Vladimir Poutine de collaborer avec lui pour mettre fin à la guerre en Ukraine, a réagi comme si un véritable conflit entre superpuissances pouvait éclater, ordonnant à des sous-marins de se mettre en position pour se prémunir contre toute menace.
Quelques jours plus tôt, M. Trump était rentré aux États-Unis après un voyage consacré au golf, où il avait joyeusement fait étalage de son pouvoir politique et diplomatique.
Un Congrès docile avait adopté son projet de loi phare en matière de politique intérieure, malgré les inquiétudes suscitées par les coupes dans le filet de sécurité sociale. L’Union européenne avait cédé face à M. Trump et sa menace de droits de douane en annonçant un accord commercial pendant son voyage en Écosse. Encouragé, le président avait poursuivi sa politique de droits de douane généralisés susceptibles de remodeler l’économie mondiale.
Mais vendredi, confronté à des adversaires et à des faits qu’il ne pouvait pas facilement contrôler, l’homme fort de la Maison-Blanche a montré une autre facette de lui-même : il a réagi avec une intensité disproportionnée et une impatience manifeste.
Réactions inquiétantes
Ses actions s’inscrivent dans une tendance à faire preuve d’une intolérance croissante envers ceux qui ne se plient pas à sa volonté.
Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale qui a défié les demandes de M. Trump en matière de baisse des taux d’intérêt, a fait l’objet de critiques et d’insultes cinglantes et incessantes de la part du président. Le républicain s’en est aussi pris à ses propres partisans qui ont refusé de renoncer à leurs demandes de divulgation des dossiers sur l’affaire Jeffrey Epstein.
Mais ses actions de vendredi ont été particulièrement frappantes, car elles ont donné lieu à des réactions virulentes sur deux des plus grands enjeux auxquels il doit faire face.
La Russie de Vladimir Poutine, autrefois considérée par M. Trump comme un partenaire pour résoudre les grands problèmes, l’a laissé frustré et confronté à des rappels moqueurs de sa promesse de mettre fin à la guerre en Ukraine dès son premier jour au pouvoir.
M. Poutine répond désormais aux efforts de paix de la Maison-Blanche en lançant de nouvelles attaques et en balayant les menaces de nouvelles sanctions américaines. M. Trump s’est donc retourné contre lui et a utilisé vendredi ses pouvoirs de commandant en chef pour répondre aux messages provocateurs de l’un des fidèles défenseurs du président russe.
PHOTO BRIGADE MÉCANISÉE DES FORCES ARMÉES UKRAINIENNES, FOURNIE PAR REUTERS
Une femme se tient près de carcasses de voitures brûlées à Droujkivka, en Ukraine, après une attaque de drones lancée par la Russie.
Peu après avoir révélé sur sa plateforme Truth Social qu’il avait ordonné que des sous-marins nucléaires « soient positionnés dans les régions appropriées, au cas où ces déclarations stupides et incendiaires seraient plus que cela », M. Trump a limogé la commissaire du Bureau of Labor Statistics, affirmant que les chiffres de l’emploi étaient manipulés pour le discréditer.
« Je pense qu’il s’est délibérément entouré de personnes qui lui disent toujours oui », a déclaré John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale de M. Trump.
C’est une preuve supplémentaire qu’il n’est pas apte à être président.
John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump
« Ce n’est pas ainsi qu’un président doit réagir à l’une ou l’autre de ces situations », ajoute-t-il.
Un « dangereux précédent »
En licenciant Erika McEntarfer, qui avait été confirmée à l’unanimité par les deux partis en 2024, M. Trump l’a accusée d’avoir systématiquement manipulé les chiffres de l’emploi pour lui nuire avant et après la présidentielle de 2024, une affirmation rejetée par les économistes de tous bords politiques.
« Je pense que les chiffres étaient faux, tout comme ils l’étaient avant les élections », a affirmé M. Trump en quittant la Maison-Blanche vendredi. « Alors vous savez ce que j’ai fait ? Je l’ai limogée. Et vous savez ce que j’ai fait ? La bonne chose. »
Cette décision a renforcé les craintes que M. Trump, qui a déjà limogé des inspecteurs généraux et nommé des fidèles au département de la Justice, ne finisse par éliminer les fonctionnaires qui communiquent des données politiquement gênantes ou par les intimider pour qu’ils ne divulguent pas publiquement les mauvaises nouvelles.
William W. Beach, ancien directeur du Bureau of Labor Statistics nommé par M. Trump lors de son premier mandat, a qualifié ce licenciement d’« infondé » et a averti qu’il créait un « dangereux précédent ».
« Cela intensifie les attaques sans précédent du président contre l’indépendance et l’intégrité du système statistique fédéral, a déploré M. Beach dans une déclaration commune avec d’autres statisticiens. Le président cherche à faire porter le chapeau à quelqu’un pour les mauvaises nouvelles économiques. »
Des propos lourds de conséquences
Plus tôt dans la journée, le président s’était montré tout aussi peu prudent en répondant à Dmitri Medvedev, qui avait déclaré dans un message publié sur les réseaux sociaux que M. Trump devrait imaginer la série télévisée apocalyptique The Walking Dead et avait évoqué le système soviétique de lancement d’une frappe nucléaire.
PHOTO LOÏC VENANCE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Le vice-président du Conseil de sécurité de Russie, Dmitri Medvedev
« Les mots sont très importants, a rétorqué M. Trump. Et ils peuvent souvent avoir des conséquences imprévues. J’espère que ce ne sera pas le cas ici. »
M. Bolton estime que c’est le président qui doit faire preuve de plus de retenue.
Il ne comprend peut-être même pas ce qu’il fait. Il lui est tellement naturel de tenir des propos scandaleux qu’il est incapable d’en envisager les conséquences stratégiques.
John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump
Entouré de collaborateurs qui ne sont pas disposés à remettre en question ses impulsions, M. Trump n’a aucune contrainte qui l’empêche de s’exprimer de manière impulsive, croit M. Bolton.
« Trump n’est pas dissuadé par la réalité, estime l’ancien conseiller à la sécurité nationale. Il dit simplement ce qu’il veut dire. »
En attaquant Jerome Powell, le président de la Fed, M. Trump a cherché à l’accuser d’avoir mal géré la rénovation coûteuse du siège de la banque centrale. Mais lorsque M. Trump s’est récemment rendu dans le bâtiment pour défendre son point de vue, M. Powell, par un geste discret, mais remarquable de défiance, a publiquement contesté les chiffres avancés par le président.
Vendredi, alors que les nouveaux chiffres de l’emploi suggéraient un ralentissement de l’économie sous la présidence de M. Trump, il a une nouvelle fois appelé M. Powell à démissionner.
Cet article a été publié dans le New York Times.
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