Une surprise ? Un étonnement ? Un ébahissement ? Non, un coup de poing plutôt, frappé aux tripes. Et qui les laisse sans voix. D’ailleurs, il et elle n’ont plus les mots. Ou plutôt, on menace de les en priver, de nous en priver tous. Sœur Frédéric et Sœur Sylvie en sont estomaqué.e.s.

Il-elle sont les Sœurs Siamoises, duo d’artistes qui travaillent en si parfaite fusion qu’il et elle se sont déclaré.e.s unies par les liens de la sororité artistique. « Tout en étant les premières siamoises à n’être pas nées de la même mère ». Sourire. Ce sera bien le seul de l’entretien. Car si l’on en croit l’exposition dont Elles investissent les palissades du CCGP, Centre culturel Georges Pump It Up, l’heure est plutôt à l’angoisse.

Et plus encore depuis que Trump s’est piqué de bannir des mots. « Il existe en effet une liste effarante, publiée par le New York Times, qui recense tous les mots que Trump s’emploie à effacer du paysage. » Selon les sources, entre 100 et 200 items au total.

Absurdités en Trumpistan

Sous prétexte de guerre anti-woke, deviennent ainsi suspects en Trumpistan les mots « discrimination », « santé mentale », « LGBTQ », « Diversité », « Identité », « Victime », « Pollution », « Inclusif », « Injustices »… et des dizaines d’autres, désormais indésirables sur les sites de l’administration Trump. « Sa façon de mieux nier des réalités qui le dérangent. » Les Sœurs Siamoises y voient une véritable entreprise d’extermination sémantique, comme d’autres, dès 1933, ont banni des musées les œuvres relevant selon eux de l’art dégénéré.

« On en arrive à une telle absurdité qu’on a fini par supprimer des archives de l’armée les photos du bombardier qui a lâché la bombe atomique sur Hiroshima. » Motif ? Il portait le nom de la mère du pilote, qui s’appelait Enola… Gay !!!

Ces mots bannis, ces mots honnis, le duo d’artistes parisiens a, en réaction, décidé au contraire de les mettre à l’honneur. Avec la manière et surtout l’art. Sur la base de grandes affiches publicitaires, le duo a déchiré, recollé, agencé. Puis a peint, repeint et lettré…

D’étranges personnages s’y déploient, masqués, mystérieuses et inquiétantes créatures, qui semblent redonner de la place au monstre dans nos visions du monde.

« Nous ne sommes pas dans une position intellectuelle, mais dans celle de victimes d’agression, l’agression trumpiste contre la Démocratie. On veut donc y répondre par le ressenti, en tentant de créer un climat plutôt qu’en servant un discours. Mais un climat oppressant ». Et ainsi montrer comment, insidieusement, cet élagage du vocabulaire pèsera sur nos sociétés. Et probablement sur nos destinées. À commencer par celles des femmes. Un terme qui, lui aussi, sent le soufre désormais, aussi incroyable que cela puisse paraître.

Les bannis de la société

« Femme » s’affiche donc en blanc au mur des Siamoises, pointé d’un doigt géant verni de noir. Au-dessous, un SDF dort à même le bitume. « Parce qu’il n’y a pas que les mots qu’on bannit dans nos sociétés. »

Aux murs, mais aussi suspendus depuis les cintres, dans tout le volume de la salle d’expo, mots et images combinent ainsi leurs puissances d’évocation. Dans l’espoir d’asséner, à leur tour, l’uppercut susceptible de ramener le monde à la raison. Il en faudra sans doute beaucoup d’autres…

« La fin de l’empathie », tous les jours (sauf lundi), du 18 au 27 avril, de 14 h à 18 h, 115 rue Gabriel Mouilleron. Vernissage le 18 dès 18h. Entrée libre (www.soeurssiamoises)