Vous aviez 7 ans, 10 ans, 15 ans. C’était l’été, les jours étaient longs, l’ennui rôdait, mais peu importait, vous aviez devant vous un horizon ouvert : un livre. Alice détective ou L’Île au trésor, Tom Sawyer ou Charlie et la chocolaterie, nous avons tous dans un coin de nos mémoires les lectures qui ont façonné notre imaginaire et forgé nos personnalités.

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Comment vivre avec l’idée que la génération qui vient puisse se passer de ce passeport vers la liberté, le plaisir et l’autonomie, comme le suggère une étude menée en 2024 par le Centre national du livre (CNL), selon laquelle un adolescent sur trois de 16 à 19 ans ne lit plus du tout pour le plaisir, se contentant de se plier aux exigences scolaires, tandis que les écrans occupent une place écrasante dans leur quotidien ?

Près d’un adolescent sur deux fait autre chose en lisant

L’étude du CNL révèle que le coup d’arrêt est marqué à l’adolescence, à partir du collège, quand le lien parents-enfants autour de la lecture s’amenuise : « J’adorais qu’on me lise des histoires quand j’étais petit », regrettent 61 % des sondés, qui ne consacrent plus, une fois sortis de l’école primaire, que 19 minutes par jour, en moyenne, à la lecture de loisir, contre 3 h 11 cédées aux écrans (hors usage scolaire), soit… dix fois plus de temps qu’aux livres.

Les chiffres sont plus affolants encore pour les 16-19 ans : les filles lisent 17 minutes par jour, contre 5 h 09 consacrées aux écrans. Les garçons, eux, lisent 7 minutes par jour, et passent 5 h 12 sur leur téléphone, leur ordinateur ou leur télévision.

Étrange signe des temps : l’attention des jeunes qui persévèrent dans la lecture se disperse. Terminé, le temps où Ivanhoé, le comte de Monte-Cristo ou Jane Eyre occupaient toutes les pensées d’une jeunesse penchée sur leurs aventures. Aujourd’hui, près d’un adolescent sur deux fait autre chose tout en lisant, comme envoyer des messages, regarder des vidéos ou fréquenter les réseaux sociaux. 20 % des lecteurs ne dépassent pas un quart d’heure de lecture ininterrompue…

Régine Hatchondo, présidente du CNL, le martèle : « Je considère que la lecture est une affaire de santé publique. Il faudrait une prise de conscience massive pour mettre en exergue les bienfaits de la lecture chez les enfants. » Le CNL multiplie les initiatives pour, toujours selon les mots de sa présidente, « remettre la lecture au cœur de la vie quotidienne » : parmi les initiatives phares du CNL, on trouve le « quart d’heure de lecture national », qui invite chaque année, en mars, tous les Français à interrompre leurs activités pour lire pendant 15 minutes, des établissements scolaires aux entreprises. Le CNL organise aussi chaque été Partir en livre, un grand festival itinérant dont Le Point est partenaire, qui se lance à la rencontre des jeunes afin de célébrer le livre et provoquer l’envie de lire.

Les écrans, un poison ?

En dehors de ces initiatives, que pouvons-nous faire ? Peut-être voir d’un autre œil ces écrans qui grignotent le « temps de cerveau disponible » de nos enfants. Car ils pourraient, révèle l’étude du CNL, être leur allié. « Garde tes amis proches, et tes ennemis plus proches encore », aurait conseillé Sun Tzu dans L’Art de la guerre, au VIe siècle avant Jésus-Christ, phrase reprise par Al Pacino dans Le Parrain 2.

À l’ère du numérique, cette stratégie guerrière s’applique aux écrans, qui ont un air de poison, mais aussi de remède quand on les invite sur le champ de bataille de la lecture. 44 % des jeunes ont déjà lu un livre numérique, c’est bien plus que leurs aînés, qui ont du mal à prendre le virage de la lecture sur tablette : 97 % des adultes lisent des livres imprimés, d’après une étude menée en 2023 par le Syndicat national de l’édition.

Les ados font flèche de tout bois : les smartphones qu’ils aiment tant leur servent aussi à lire (près d’un jeune sur deux a déjà lu un livre sur son téléphone portable). Peut-être grâce à l’essor des podcasts, ils sont aussi sensibles à l’écoute : 42 % d’entre eux ont déjà consommé au moins un livre audio, format en progression constante auprès des nouvelles générations.

Adaptations de romans en films

Ils passent leurs vies sur les réseaux sociaux ? Ce n’est peut-être pas aussi délétère que vous le redoutez. Le pouvoir de l’influence s’étend aussi à la littérature, et 10 % des jeunes ont déjà eu envie de lire un ouvrage conseillé par une personnalité suivie en ligne.

Vous les voyez plantés devant Netflix et soupirez à l’idée qu’ils ne prennent plus jamais un livre ? Détrompez-vous : les adaptations de romans en films ou en séries stimulent la curiosité littéraire : 66 % des jeunes lecteurs (+ 12 points en deux ans !) disent avoir davantage envie de lire une œuvre après en avoir vu une version télévisuelle – une manne pour les éditeurs de blockbusters devenus best-sellers, comme Harry Potter, Hunger Games, mais aussi Anne… la maison aux pignons verts, délicieux roman d’apprentissage publié par Lucy Maud Montgomery en 1908, devenu Ann with an E sur Netflix, ou Le Jeu de la dame publié en 1983 par Walter Tevis, adapté en série sur Netflix en 2020, repris par Gallmeister, dans la collection « Totem » en 2021 et vendu à plus de 50 000 exemplaires.

À LIRE AUSSI Chute du temps de lecture des jeunes : « La dégradation est très brutale »Autre exemple : Dark Matter, roman de Blake Crouch, publié par J’ai lu en 2018, vendu à 1 000 exemplaires. Adapté en série sur Apple TV en 2024, repris, toujours par Gallmeister en « Totem » la même année, ses ventes s’envolent à 20 000 exemplaires. Les Quatre Filles du docteur March, de Louisa May Alcott, publié en 1868, a connu un regain d’intérêt après son adaptation en film par Greta Gerwig en 2019, avec Timothée Chalamet.

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Ce dernier constitue un solide argument auprès des jeunes, puisque les ventes de Dune, le best-seller signé Frank Herbert (1965), ont été réveillées par l’adaptation cinématographique en deux volets signée Denis Villeneuve (2021 et 2024), dans lesquelles le jeune acteur franco-américain tient le rôle principal, au côté de la très populaire Zendaya. Et si, plutôt que de le dévorer, les écrans apportaient au roman la touche de glamour qui mène au grand amour – celui dont rêvent encore nos jeunes, et qui n’est jamais aussi puissant que lorsqu’on est adolescent ? 

Ce qui cartonne
Mais que lisent-ils donc, quand ils délaissent (enfin) les écrans ? Nous nous sommes penchés sur le tableau des meilleures ventes GFK de 2024, publié par Livres Hebdo fin 2025, qui révèle que nos adolescents, malgré les polémiques entourant son autrice, J. K. Rowling, accusée de transphobie, continuent de plébisciter Harry Potter, premier des ventes. Leurs goûts les portent aussi vers la romance, avec le succès de Tillie Cole (Mille Baisers pour un garçon, 2e du classement, Mille Morceaux de cœur brisé, 9e…) ou Nos étoiles contraires, de John Green, en 11 e position. Le Royaume de Kensuké, de Michael Morpurgo, adapté au cinéma en 2023, caracole en 3e position. Et les classiques ? Le Petit Prince, de Saint-Exupéry, occupe la 5 e place du classement, juste devant Vendredi ou la Vie sauvage, de Michel Tournier. Quant aux tout-petits, ils sont fous de l’écrivain Baptiste Beaulieu, dont l’album Je suis moi et personne d’autre, illustré par Qin Leng, squatte la 7e position du palmarès.

Anne Goscinny : « La Comtesse de Ségur est entrée dans ma vie… »

« Comme tous les enfants uniques nés à la fin des années 1960, la lecture était ma seule distraction. Pas de jeux de société quand on est tout seul ! Pas de bagarres, ni de disputes ! Trois chaînes de télévision avec parfois un western ou la retransmission d’un opéra. Rien d’exaltant pour un enfant ! Alors, les aventures de Babar d’abord, celles de Oui-Oui ensuite m’ont fait toucher du doigt le pouvoir magique de la lecture. Je n’étais plus seule, j’avais des copains de papier. »

« J’ai été fascinée ensuite par Le Club des cinq et si Claude et Annie, François ou Mike ne pouvaient pas venir goûter chez moi, moi, je pouvais les retrouver où je voulais, n’importe quand. Il est là le miracle de la lecture. Ensuite, la Comtesse de Ségur est entrée dans ma vie, ou je suis entrée dans la sienne, je ne sais plus très bien. J’ai tremblé avec Dourakine et Mme Fichini, adoré Cadichon, pleuré sur le sort du pauvre Blaise. Bref ! J’ai appris l’essentiel, l’émotion s’écrivait et se lisait. »

« Et l’émotion justement, quand, enfant, on est submergés par elle, on est heureux que d’autres nous aident à la nommer, donc à la comprendre. Là la tristesse, ici le bonheur. C’est la plus grande vertu de la lecture quand on est un lecteur débutant : apprendre à éprouver. Petite fille, après avoir terminé un livre avant de m’endormir, je me réveillais le matin riche d’une histoire dont je me servirais pour grandir mieux et plus haut. » 

Marion Brunet : « Les livres et les films qui ont forgé mon imaginaire »

« Pendant toute mon enfance, j’ai été boulimique de lectures. J’ai adoré les récits d’aventure, j’ai lu tous les Jack London, Robert Louis Stevenson, j’ai voué un culte à Mark Twain. Mon père, lecteur boulimique, m’a fait lire Hemingway. Ensemble, nous regardions des westerns. Cela a forgé mon imaginaire. Mais dévorer ces œuvres m’a aussi aidée à écrire des livres qui ressemblaient au monde que j’ai envie d’habiter. »

« Dans les films de cow-boys, dans les livres de Hemingway, il n’y avait jamais de femmes, ou alors très secondaires. Je les aime, ces histoires. Elles m’ont construite. Elles m’ont permis de devenir l’écrivaine que je suis : riche de mon bagage, j’ai gardé l’amour des grands espaces et des aventures échevelées tout en me mettant en colère contre les “histoires de bonhomme”. L’adrénaline qui m’a galvanisée quand je lisais, gamine, je la rends aux personnages que j’aime, centraux dans mes romans : les femmes. »

Timothée de Fombelle : « Des livres et du temps ! »

« J’étais un jeune lecteur omnivore. L’été, j’attaquais la bibliothèque de ma grand-mère, d’en haut à gauche à en bas à droite sans me demander si les livres s’adressaient au lecteur de 12 ans que j’étais. Toutes mes lectures m’ont fabriqué… Les grands livres comme les mauvais. Pourtant, je me dis parfois que, si j’avais été un enfant qui ne lisait pas, j’écrirais aujourd’hui en tendant davantage la main aux enfants non lecteurs. »

« Pour faire lire les plus jeunes, je pense qu’il faut deux choses seulement : des livres et du temps ! On doit laisser traîner des livres près d’eux, lire soi-même pour montrer l’exemple, et surtout leur donner des heures. Les écrans, par exemple, sont d’abord des voleurs de temps. Mais le jour où la rencontre avec le livre se fait, alors le livre devient plus fort que tout. Tout le reste ne compte plus. Je me souviens de ce premier choc. À nous, auteurs, d’écrire des livres irrésistibles ! »

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