En octobre 2019, alors que Londres préparait son retrait de l’Union Européenne, le Maroc et le Royaume-Uni annonçaient en grande pompe la conclusion d’un accord d’association global, restituant l’ensemble des avantages dont ils bénéficiaient dans le cadre de l’Accord d’Association Maroc-Union Européenne. À l’époque, cet accord, qui semblait surtout favorable au Royaume-Uni – car il tentait tant bien que mal de limiter les dérèglements générés par le Brexit -, était aussi perçu comme un signe avant-coureur d’un éventuel soutien britannique à la marocanité du Sahara. Six ans après, et fort de dividendes économiques dépassant les 40 milliards de dirhams, le Royaume-Uni a finalement décidé de franchir le Rubicon en rejoignant le camp des pays soutenant la cause nationale.
Ce soutien britannique intervient dans un contexte où le Maroc projette sa diplomatie au-delà des postures classiques, en misant sur une intégration continentale ancrée dans l’espace atlantique. L’Initiative Royale pour l’Atlantique, lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, vissa à faire de la façade atlantique africaine un levier de coopération Sud-Sud, d’ouverture économique et de désenclavement stratégique, notamment pour les pays sahéliens enclavés. En plaçant le Sahara au cœur de cette dynamique, le Maroc redéfinit les équilibres géopolitiques de la région, en transformant son littoral atlantique en pôle d’échange, d’énergie et d’influence. Dans cette optique, le partenariat maroco-britannique dépasse le cadre bilatéral pour s’inscrire dans une lecture plus large des rapports entre puissances globales et l’Afrique émergente. L’engagement de Londres à soutenir la souveraineté du Maroc sur son Sahara ouvre ainsi la voie à une coopération plus profonde dans les domaines de la connectivité énergétique, des infrastructures portuaires, de la sécurité maritime et du co-développement régional (autant d’axes stratégiques au cœur de la diplomatie atlantique du Royaume).
Choix affirmé
Londres n’y est pas allé par quatre chemins, contrairement à certains pays qui ont longtemps sou é le chaud et le froid à coups de formules alambiquées. Le gouvernement britannique considère désormais le plan d’autonomie comme la base la plus crédible, viable et pragmatique pour un règlement durable du conflit du Sahara, comme l’a déclaré dimanche le Secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, au Commonwealth et au Développement, David Lammy, lors de sa visite au Maroc. La première d’un chef de la diplomatie britannique depuis 2011. Un positionnement stratégique assumé par une puissance qui siège en permanence au Conseil de Sécurité de l’ONU. Autrement dit, Londres ne se contente plus d’un langage prudent calqué sur les Résolutions onusiennes : il tranche, il soutient et il s’engage, sur les plans politique et économique.
La nouvelle position britannique a été formulée de manière explicite, sans la moindre place pour l’interprétation, contrairement à ce qui s’est passé avec les États-Unis sous Biden. Il s’agit même, selon le Financial Times, d’une reconnaissance pure et simple de la marocanité du Sahara. Le quotidien londonien y voit une décision pragmatique qui s’inscrit dans le “réalisme progressif ” de la politique étrangère britannique.
Car oui, le gouvernement britannique reconnaît l’importance de la question du Sahara pour le Maroc et estime que le conflit n’a que trop duré. D’où la nécessité de trouver rapidement une solution, à la veille du 50ème anniversaire de ce différend. Il en va de “la stabilité de l’Afrique du Nord et de l’intégration régionale”. Le Royaume-Uni s’engage désormais à agir en conséquence, que ce soit sur le plan bilatéral ou multilatéral, conformément à cette nouvelle position. Pour les Britanniques, pragmatiques par tradition, le statu quo n’est plus tenable, ni sur le plan sécuritaire ni pour le développement régional. Et la solution ne viendra pas d’une chimère séparatiste déconnectée des réalités géopolitiques du XXIème siècle, mais d’un projet inclusif, modernisateur et conforme au droit international : celui de l’autonomie sous souveraineté marocaine.
Les esclandres algériens
Cette prise de position ne pouvait manquer de froisser l’Algérie, déjà échaudée par un nouveau revers diplomatique. Le même jour, elle a réagi par un communiqué, indiquant avoir « pris acte » de la nouvelle orientation britannique, tout en regrettant « le choix du Royaume-Uni d’apporter son soutien au plan d’autonomie marocain ». Sous le coup de la stupeur, l’Algérie n’a pourtant pas manqué de nier la réalité, affirmant que Londres ne soutenait pas la souveraineté marocaine, alors même que le communiqué conjoint britanno-marocain l’inscrit noir sur blanc.
Alger a même cherché à travestir les propos de David Lammy, en lui prêtant à tort des déclarations en faveur de l’auto-détermination lors de la conférence de presse. Le ministère algérien des Affaires étrangères a ressassé ses griefs habituels contre le plan d’autonomie marocain, pourtant désormais appuyé par une majorité de la communauté internationale. Il a dénoncé « la vacuité » de cette initiative, la jugeant incapable de constituer une solution sérieuse et crédible au conflit du Sahara.
Mais loin du fiasco algérien, ce virage pro-marocain du Royaume-Uni était attendu de longue date et jugé inévitable. Les observateurs les plus avisés savaient que Londres finirait par suivre l’exemple des États-Unis, la politique étrangère britannique étant traditionnellement alignée sur celle de Washington. Cette décision n’a pas été prise à la légère, puisqu’elle a été longuement concertée avec les autorités marocaines, comme David Lammy l’avait déjà annoncé début avril devant le Parlement de Westminster. Le chef de la diplomatie britannique a ainsi tenu parole. Lorsqu’il était encore dans l’opposition, il avait rencontré Nasser Bourita un an plus tôt et s’était engagé à se rendre au Maroc pour renforcer les liens maroco-britanniques. Engagement tenu !
N’en déplaise à M. Martin !
Londres a donc fini par franchir le Rubicon, n’en déplaise à son ambassadeur à Rabat, Simon Martin, qui, pour le moins qu’on puisse dire, n’était pas un fervent partisan de la marocanité du Sahara. Par le passé, il avait déconseillé à son gouvernement d’aller dans ce sens. C’est ce qu’avait révélé le député britannique Daniel Kawczynski à Westminster, en mai 2024, lors d’un débat parlementaire. Selon lui, l’ambassadeur, aujourd’hui en fin de mandat, opposait son veto sous prétexte qu’une telle décision affecterait les relations de Londres avec les territoires d’outre-mer, en particulier les îles Malouines. Cette posture avait valu à M. Martin les plus vives critiques de la presse marocaine.
Finalement, ce sont les travaillistes qui ont pris l’initiative, marquant un point par rapport aux conservateurs qui, bien qu’ils aient manifesté de l’intérêt pour le Maroc – de Boris Johnson à Rishi Sunak –, n’ont pas eu l’audace de franchir le pas.
“Il serait inique de ne pas mentionner le travail de l’ambassade du Maroc à Londres, qui a fait un travail remarquable pour rallier le parti travailliste à la cause marocaine”, souligne une source diplomatique, en référence au Labour Friends of Morocco, un groupe qui regroupe les sympathisants du Maroc au sein de la gauche britannique. Un véritable succès, surtout quand on sait que ce parti n’était pas historiquement proche du Maroc et avait même eu, par le passé, des penchants pro-Polisario.
Un long rapprochement
Le soutien britannique à la marocanité du Sahara n’est que le corollaire d’un long processus de rapprochement depuis la signature de l’accord d’association. Les Britanniques ont commencé à voir le Maroc autrement, comme un marché alternatif après leur divorce avec l’Europe, dans le cadre de leur politique de “Great Britain”. Désireuse de retrouver sa gloire commerciale perdue au-delà de l’Europe, la Grande-Bretagne cherchait de nouveaux marchés à l’international. Le Maroc est ainsi devenu une porte d’entrée en Afrique, comme l’a rappelé le communiqué conjoint. Sur le plan économique, les échanges commerciaux ont explosé, atteignant 3,8 milliards de livres sterling et progressant de 22,9 milliards de dirhams en 2022 à 48,5 milliards en 2024. Les exportations marocaines ont presque triplé depuis l’entrée en vigueur de l’accord d’association.
Londres voit par ailleurs dans le Maroc un fournisseur majeur, tant pour les produits agricoles qui garnissent les rayons des supermarchés britanniques que pour l’énergie verte. D’où le méga-projet de connexion électrique X-Links, qui devrait alimenter 7 millions de foyers britanniques en électricité solaire à partir d’une centrale à Guelmim, via un câble de 3.800 km.
Aujourd’hui, le Royaume-Uni voit grand. Ses regards se portent déjà vers les juteux contrats liés au Mondial que le Maroc s’apprête à lancer. Les Britanniques entendent bien obtenir leur part du gâteau, et vont même plus loin, jusqu’à lorgner sur les opportunités au Sahara. Cette mission sera confiée au bras financier de la diplomatie britannique, UK Export Finance. Une nouvelle page s’ouvre.
Anass MACHLOUKH