LE MATCH DES TUBES (21 / 40) – Serge Lama crée « Je suis malade » sans trop de succès. Avant que Dalida, une polytraumatisée de l’amour, ne la sublime et la remette en course.
À quoi tient le destin des chefs-d’œuvre. Souvent à pas grand-chose. Il y a parfois le chanteur qui ne croit pas à sa propre création : Michel Sardou n’a-t-il pas dit à ses compagnons d’écriture qu’il ne croyait pas à cette histoire d’un mariage irlandais ? « Les Lacs du Connemara » sont devenus son plus grand tube ! Il y a, souvent, le public qui préfère un succès à une œuvre magistrale : les Français ont plébiscité « Y’a qu’un ch’veu » au « Bal des Laze » de Michel Polnareff avant que le temps corrige cette infamie. Il y a, enfin, les chansons ignorées dont la reprise par un autre artiste lui offre un retour de flamme. C’est le cas de notre duel du jour : « Je suis malade », créé par Serge Lama, et popularisé par Dalida.
Les amours contrariées ont toujours fait d’excellentes chansons. Au début des années 1970, Serge Lama est tiraillé. Il est marié, mais amoureux de Michèle Potier. À sec au niveau création, l’interprète d’« Aventures en aventures » traîne son spleen jusqu’à un dîner avec son amie et compositrice, Alice Dona. « Une petite phrase m’émeut plus particulièrement, que Serge s’obstine à employer à plusieurs reprises, comme pour appuyer son récit et me faire prendre conscience de la gravité de sa situation. « Je suis malade… Je suis malade… » », se souvient-elle dans son autobiographie. Elle se précipite au piano, compose la mélodie et la soumet à Lama. Qui retrouve sa plume. « Je ne rêve plus, je ne fume plus. Je n’ai même plus d’histoire […] Je n’ai plus envie de vivre ma vie. Ma vie cesse quand tu pars. » L’interprétation de Serge Lama est grandiose. Chaque mot illustrant sa déchéance est appuyé par une voix à la fois poignante et puissante. La mélodie de Dona s’avère tragiquement simple – des notes de piano et une légère guitare avant que les cordes viennent emballer le tout. « Tu m’as privé de tous mes chants. Tu m’as vidé de tous mes mots. Et j’ai le cœur complètement malade, cerné de barricades. T’entends, je suis malade »
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La maison de disques ne croit pas à la chanson, mais l’incorpore tout de même sous la pression de Lama dans l’album « rouge » de l’artiste sorti en 1973. Le public lui préfère « Les p’tites femmes de Pigalle ». « Je suis malade » aurait pu connaître le même destin que « Le 15 juillet à 15 heures ». Mais…
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Version encore plus désespérée
Une autre grande blessée de l’amour tombe sur le titre et décide de le chanter. Dalida, pas encore reine du disco, mais déjà très tourmentée s’empare la même année de « Je suis malade ». Elle ne change aucunement le texte et modifie très légèrement l’orchestration de la mélodie. Les paroles collent parfaitement et elle livre une version encore plus désespérée. « Comme à un rocher, comme à un péché, je suis accroché à toi, je suis fatigué. Je suis épuisé de faire semblant d’être heureux quand ils sont là. » La voix de Dalida est bouleversante surtout quand on connaît la fin de l’artiste. « Cet amour me tue. Si ça continue, je crèverai seul avec moi. Près de ma radio comme un gosse idiot écoutant ma propre voix qui chantera je suis malade. » Le public ne rate pas cette seconde chance et accueille triomphalement la chanson. « C’est grâce à toi si « Je suis malade » est devenu un succès », remercie dans une émission de Michel Drucker Serge Lama en 1978. Les radios passent la moitié de la chanson version Dalida, l’autre moitié version Lama.
Qui remporte ce match ? L’homme déconstruit et cassé ? Ou la femme pleine de désespoir ? On ne peut pas trancher tant l’originale et la reprise sont inséparables. Serge Lama nous a mis d’accord en 2003. Alors qu’il n’avait jamais chanté en duo avec Dalida de son vivant, il exauce notre rêve en sortant la version à deux. La chanteuse a la voix encore plus cassée par l’émotion. C’est sublime. Forcément sublime.