Petru Antone Tomasi, porte-parole de Nazione, a le sens de la formule. Y compris quand il parle du processus d’autonomie dans lequel la Corse est engagée depuis 2022, quand il en retrace les grandes lignes, les avancées et les atermoiements.

Les fameuses « lignes bleu, blanc, rouge » qui avaient « vidé le texte de sa substance ». Qui avaient laissé derrière elles « un protocole Darmanin-Simeoni » en forme de « péché originel », lequel ne pouvait dès lors, « mener le reste des discussions que dans une impasse politique ». Une « grande illusion » que Nazione n’a pas votée à l’issue du dîner de Beauvau, au mois de mars dernier.

Et après ? Pour le parti indépendantiste, « le piège s’est définitivement refermé lorsque, de concert, le gouvernement français et le Conseil d’État ont livré publiquement leur interprétation du fameux accord ». Et Petru Antone Tomasi de citer François Rebsamen rappelant l’absence, dans le texte, du statut de résident, de la co-officialité de la langue, de la notion de peuple corse.

« Pour ceux qui font semblant de ne pas comprendre, les choses sont désormais claires : ils ont signé pour rien et même pour moins que rien. » Seulement « pour le statu quo gravé dans la Constitution française, potentiellement pour des années ou des décennies… »

Sur le projet d’autonomie, un désaccord assumé « sans aucun état d’âme »

Car c’est bien là ce qui a poussé les indépendantistes à ne pas se joindre à la démarche portée par Gilles Simeoni, et Josepha Giacometti-Piredda n’a pas attendu la clôture pour le rappeler, profitant du débat de l’après-midi pour le redire en tribune : « Finalement, le Conseil d’État a simplement explicité les faiblesses et les entraves de ces écritures constitutionnelles, que les élus de la Corse ont votées. Ce qui a été validé à Beauvau relève d’un diktat politique, qui a été validé par ceux qui y ont apposé leur signature, et qui nous met dans l’impasse pour des décennies […] surtout lorsque l’on sait la difficulté de rouvrir des discussions à un niveau constitutionnel. »

Face à ce constat, Nazione a donc décidé, ce dimanche 3 août à Corte, de durcir le ton : « Dans ce contexte, martèle Petru Antone Tomasi, nous allons être de nouveau et à notre tour, très clairs. Depuis cette tribune des Ghjurnate, Nazione demande l’abandon pur et simple de ce projet de statut qui est néfaste pour la Corse et pour les Corses. Et nous assumons sans ambiguïté, sans équivoque cette opposition. Nous sommes prêts, demain, si un texte de cet acabit venait à être soumis au vote des Corses, à assumer ce désaccord sans aucun état d’âme. » Les mots sont martelés.

Le rapport de force politique pour changer « une trajectoire funeste »

Et puis une question est posée : existe-t-il des alternatives ? « Le gouvernement français, le président du conseil exécutif, l’ensemble des signataires nous expliquent que l’accord de Beauvau est le seul horizon possible. Ils nous répètent en chœur qu’il n’y a pas d’autres choix, c’est Beauvau ou le chaos« , s’emporte Petru Antone Tomasi, qui en arrive à convoquer Margaret Thatcher* et la doctrine popularisée en son temps : TINA, pour « There Is No Alternative ».

Les indépendantistes soutiennent que c’est faux, et que la seule chose qui pourrait modifier cette « trajectoire funeste, c’est le rapport de force politique, sous des formes diverses ». Un rapport de force qui passerait d’abord par « la mobilisation populaire », puis, en suivant l’exemple du FLNKS* qui se réunira prochainement en congrès pour « officialiser son opposition au texte de Bougival », par le refus de valider un accord « qui joue contre le peuple ».

En tribune, Petru Antone Tomasi, porte-parole de Nazione, a notamment rappelé la position de son parti, en désaccord total avec le projet d'autonomie en cours.En tribune, Petru Antone Tomasi, porte-parole de Nazione, a notamment rappelé la position de son parti, en désaccord total avec le projet d’autonomie en cours. José Martinetti.

« En Corse aussi l’alternative viendra », mais, prévient-on, « nous nous battrons pour qu’elle ne se bâtisse pas sur un retour des forces politiques du passé ». « L’alternative ne pourra venir que du mouvement national » et en cela, Nazione en appelle d’ores et déjà aux futurs déçus, aux « patriotes qui ont sincèrement cru […] et qui ont été trompé ».

Statut de résident : reprendre l’exemple d’Alzi, qui l’applique depuis dix ans

À une échelle plus « micro » et surtout, à plus court terme, Nazione demeure sur ses combats historiques, avec au premier rang, « le défi de la colonisation de peuplement » dont le parti veut faire « la mère des batailles ».

Samedi à la même tribune, des maires de toute l’île et de toutes les tendances politiques étaient venus parler de pression foncière et de dépossession de la terre. Une vague que le parti indépendantiste compte bien surfer, d’abord en accompagnant « toute démarche, toute proposition, y compris lorsqu’elle ne vient pas de nos rangs, qui ira dans le sens de la préservation de notre patrimoine foncier ». Mais aussi en lançant un appel à tous les édiles de Corse, pour « les inviter à reproduire l’exemple du maire de la commune d’Alzi, Simon Venturini » qui, depuis dix ans, applique sur son territoire un statut de résident voté en conseil municipal et jamais attaqué depuis.

Tous sont priés de faire la même chose, et de le faire savoir « à tous les acteurs du marché immobilier comme les agences immobilières ou les offices notariaux » afin qu’ils en informent leurs clients « dans le cadre de leur devoir de conseil ». Le but : faire de ce statut « une arme de dissuasion massive« .

À la rentrée, proposer la constitution d’un « corps électoral légitime »

La dernière proposition lancée hier depuis la tribune des Ghjurnate concerne les élections municipales, qui se tiendront dans moins d’un an. Du point de vue de Nazione, ce scrutin ne doit pas prendre la forme d’une possibilité pour les « 5 000 nouveaux arrivants par an de décider à notre place de l’avenir de la Corse ».

Surtout, aucune chance ne doit leur être laissée de « bientôt élire les premiers maires représentant la colonisation de peuplement ». « Dès la rentrée, conclut Petru Antone Tomasi, nous remettrons donc au cœur du débat politique la proposition de constituer un corps électoral légitime. »

*Première ministre du Royaume-Uni entre 1979 et 1990*Front de libération nationale kanak et socialiste