« C’était le paradis… » A 74 ans, Ammar a passé plus de 30 ans de sa vie au foyer Adoma (ex-Sonacotra), sur le boulevard du Mercantour à l’ouest de Nice. Ex-ouvrier, il évoque, nostalgique, l’époque où cette résidence pour travailleurs migrants grouillait de vie. « Avant, il y avait 3 boucheries, 3 épiceries, 2 cafés, un arrêt de bus tout près. On avait la jeunesse, le travail… Maintenant, on est vieux, tout a fermé et personne ne s’occupe de nous », dit-il. Un constat largement partagé par les habitants de ces bâtiments, aux 1.013 chambres. « Le plus gros foyer social de France », dixit Géraldine Fettig, directrice territoriale d’Adoma.

Le 3 juillet, l’association La même justice pour tous et le Collectif tunisien des Alpes-Maritimes liberté ont cosigné un courrier, adressé au procureur de Nice et au préfet. Ils y pointent les « conditions graves dans lesquelles vivent ces hommes vulnérables ». Une alerte de plus.

En 2023, le site avait déjà été épinglé comme « le plus pauvre des quartiers prioritaires du pays » par le rapport de la Fondation pour le logement (ex-Abbé-Pierre). Ici, le taux de pauvreté est élevé, les résidents aux 2/3 âgés de plus de 60 ans, les corps fatigués par les emplois manuels et les cannes pour se déplacer sont légion. En janvier, des chibanis déploraient la disparition de l’arrêt de bus Lignes d’azur voisin, les contraignant à une marche jusqu’au tram, à laquelle beaucoup renoncent.

« On ne profite pas du pays! »

« Cafards, punaises de lit, ascenseurs en panne… » La missive pointe « des retraités immigrés complètement laissés à l’abandon » après avoir « travaillé pour la France ». Tahar, 70 ans, arrivé du bled en 1976, explique, mi-fier, mi-amer, comment il a participé à « la construction de la voie rapide entre Nice et Carros ». Fatigué, le retraité rêve de rentrer au pays finir ses jours en famille. Mais, depuis le 1er janvier 2025, un décret impose aux travailleurs étrangers 9 mois par an de présence en France pour avoir le droit aux prestations sociales. Brahim, né en 1957, l’a vécu comme une gifle. Le contraignant à rester là, « comme dans une prison ».

Dans la cuisine, partagée avec son voisin de chambre, il montre la peinture qui s’écaille, les fuites… Et conduit sur son petit balcon, avec vue sur les villas surplombant la plaine du Var. « J’en ai construit plein. Nous, on n’a jamais cassé des voitures, on a bossé pour un pays qu’on respecte. On ne profite pas, comme disent les gens. On a des droits! » Sa peur: mourir dans ce foyer. « Comme cet Algérien retrouvé écroulé dans son lavabo: 4 jours qu’il était comme ça… » « Les pompiers viennent souvent chercher les corps, les vieux meurent seuls dans leur chambre », dit aussi Mohsem, croisé dehors.

« Tout ça, c’est du racisme »


L’ascenseur du bâtiment C est « en panne depuis 6 mois », déplore Heidi. Photo Aurélie Selvi.

Assis sur un banc ombragé de la cour, il y a Abdelkader, 95 ans et Béchir, 72 ans. Le second explique que l’ancien, qui ne parle pas français, ne se déplace plus que pour ses soins. « Pour les commissions, il doit demander à quelqu’un ici. Des services parfois payants ». Heidi, 70 ans, passe avec un cabas au bras, de retour de l’hypermarché Leclerc à 20 minutes à pied d’ici. Vivant au 3e étage, lui fulmine contre l’ascenseur, « en panne depuis 6 mois », en attaquant péniblement l’escalier.

« On paye 455 euros la chambre et ce n’est pas réparé! On est vieux et fatigués, on vit dans la saleté. Un scandale », martèle-t-il. Rachid, venu de Nancy il y a 4 ans, songe à repartir. « J’ai jamais vu ça… On n’a rien fait de mal, pourquoi nous traiter comme ça? La police passe non stop, ils feraient mieux d’aller aux Moulins. On ne peut pas acheter du lait, de l’eau sans marcher… Tout ça, c’est du racisme », lâche-t-il, attristé.

« Tissu commercial accessible »

Contactée, la directrice locale d’Adoma indique que les commerces du foyer sont propriétés de la Ville depuis 18 ans.

De son côté, Franck Martin, adjoint niçois délégué aux Commerces, fait savoir: « Ces dernières années, les commerçants […] nous ont fait part de la non-reconduction de leur bail, évoquant une perte de clientèle. Lors des réunions, la gêne occasionnée par [leur] absence n’a pas été évoquée. Les résidents disposent d’un tissu commercial accessible: une boulangerie en face, de nombreux commerces au sein de Nice Valley […] et des commerces de proximité à Saint-Isidore, accessibles en bus ou en tram ».

Géraldine Fettig d’Adoma ajoute: « On est à la recherche d’une association pour rouvrir, d’ici l’automne, une caféterie au sein du foyer. Face au manque de commerce, on a aussi sollicité des associations pour lancer un camion-épicerie ou une épicerie sociale. Mais ce n’est pas fait… ». Quant aux conditions de vie, Adoma précise avoir investi plusieurs millions d’euros dans l’entretien courant depuis 2013. « L’ascenseur évoqué sera réparé dans les prochains jours. Des points restent à améliorer, bien sûr. Les bâtiments ont près de 40 ans, il y a des infiltrations dans les toits. À notre demande, le bailleur Côte d’Azur habitat [propriétaire des murs, NDLR] mène une expertise », dixit la directrice territoriale.