Pillages par des gangs criminels ou nourriture détournée dans le plus grand chaos : après vingt-deux mois de guerre, le peu de nourriture qui entre à Gaza n’atteint pas ceux qui en ont le plus besoin. A la faveur d’une pause partielle dans les bombardements annoncée ce dimanche par Israël, sous pression internationale face au risque de famine, de l’aide humanitaire a recommencé à entrer dans le territoire assiégé, mais en quantité jugée largement insuffisante par les organisations internationales.

Tous les jours, les correspondants de l’AFP sont témoins de scènes dramatiques où des foules désespérées se ruent, souvent au péril de leur vie, sur des véhicules chargés de vivres ou sur des sites de largages aériens, opérés ces derniers jours par les Emirats Arabes Unis, la Jordanie, le Royaume-Uni ou la France.

« J’ai été blessé en récupérant le sac »

Jeudi, à Al-Zawayda (centre), à la vue des palettes parachutées par un avion, des Palestiniens amaigris ont accouru par dizaines, se bousculant et s’arrachant les colis dans un nuage de poussière. « La faim a poussé les gens à se tourner les uns contre les autres. Les gens se battent entre eux avec des couteaux », affirme à l’AFP Amir Zaqot, venu chercher de l’aide.

Pour éviter les débordements, les chauffeurs du Programme alimentaire mondial (PAM) ont pour consigne de s’arrêter et de laisser la population se servir directement. En vain. « Une roue de camion a failli m’écraser la tête, et j’ai été blessé en récupérant le sac », souffle un homme, sac de farine sur la tête, dans la zone de Zikim, au nord de la bande de Gaza.

Mohammad Abu Taha s’est rendu à l’aube sur un site de distribution près de Rafah (sud) pour faire la queue et réserver sa place : ils étaient déjà « des milliers à attendre, tous affamés, un sac de farine ou un peu de riz et de lentilles ». « Soudain, nous avons entendu des coups de feu […]. Aucun moyen de s’échapper. Les gens ont commencé à courir, se poussant et se bousculant, enfants, femmes, personnes âgées », raconte cet homme de 42 ans. « La scène était tragique : du sang partout, des blessés, des morts ».

Des entraves répétées d’Israël dénoncées

Près de 1.400 Palestiniens ont été tués depuis le 27 mai dans la bande de Gaza, « la plupart » par l’armée israélienne alors qu’ils attendaient de l’aide humanitaire, a accusé vendredi l’ONU. L’armée israélienne dément cibler les bénéficiaires de l’aide, faisant état de « coups de semonces » lorsque les gens s’approchent trop près de ses positions.

Refus de délivrer les permis de passages aux frontières, lenteur des dédouanements, limitation des points d’accès, itinéraires dangereux… Depuis des mois, les organisations internationales dénoncent aussi des entraves répétées des autorités israéliennes qui alimentent le désordre, selon ces mêmes organisations.

Pillages au profit des commerçants

Une partie de l’aide est pillée par des gangs – qui attaquent souvent directement les entrepôts – et détournée au profit de commerçants qui la revendent à des prix exorbitants, selon plusieurs sources humanitaires et experts. « C’est une sorte d’expérience darwinienne où seul le plus fort survit : les plus affamés n’ont pas l’énergie de courir après un camion, d’attendre des heures au soleil, de se battre pour un sac de farine », affirme Muhammad Shehada, chercheur invité au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).

Israël a accusé à maintes reprises le Hamas de piller l’aide humanitaire de l’ONU, qui acheminait la plus grande partie de l’aide depuis le début de la guerre déclenchée par l’attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien en octobre 2023.

Quatre points de distribution pour 2 millions d’habitants

Ces accusations ont justifié le blocus total imposé à Gaza entre mars et mai, puis la mise en place, fin mai, de la Gaza humanitarian foundation (GHF), un organisme privé soutenu par Israël et les Etats-Unis, qui affirme être devenu depuis le principal fournisseur d’aide, mais avec qui les autres organisations refusent de travailler. Or, celle-ci ne dispose que de quatre points de distribution pour plus de 2 millions d’habitants, qualifiés de « piège mortel » par l’ONU.

Notre dossier sur le conflit israélo-palestinien

Selon de hauts responsables militaires israéliens cités par le New York Times le 26 juillet, le Hamas a certes pu détourner une partie de l’aide fournie par certaines organisations, mais il n’existe « aucune preuve » qu’il ait régulièrement volé les vivres de l’ONU.