Il y a quatre-vingts ans, les bombes américaines lâchées sur Hiroshima et Nagasaki faisaient des centaines de milliers de morts et de blessés, traumatisant durablement les Japonais et influençant leur culture.

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France Télévisions – Rédaction Culture

Publié le 04/08/2025 13:08

Temps de lecture : 5min

Les personnages d'Astro Boy et Godzilla, au musée de l'Allemagne, à Munich, le 7 février 2017. (ALEXANDER HEINL / PICTURE ALLIANCE / GETTY IMAGES)

Les personnages d’Astro Boy et Godzilla, au musée de l’Allemagne, à Munich, le 7 février 2017. (ALEXANDER HEINL / PICTURE ALLIANCE / GETTY IMAGES)

Du souffle atomique de Godzilla aux descriptions littéraires des effets des radiations et jusque dans les mangas, au fil des décennies, les bombes nucléaires américaines lâchées sur Hiroshima (140 000 morts environ) et Nagasaki (74 000 morts) en août 1945, ont profondément influencé la culture japonaise.

Atome Puissant est le titre japonais du manga Astro Boy, tandis que d’autres animés célèbres comme Akira, Neon Genesis Evangelion et L’Attaque des Titans décrivent des explosions de grande ampleur. « Traverser une souffrance extrême » et exorciser un traumatisme est un thème récurrent dans la production culturelle japonaise, et cela « a fasciné le public mondial », commente William Tsutsui, professeur d’histoire à l’université d’Ottawa.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les histoires de destruction et de mutations ont été associées à la crainte des catastrophes naturelles fréquentes, et, après 2011, à l’accident de Fukushima.

Si des poèmes « dépeignent la pure terreur causée par la bombe atomique au moment où elle a été larguée », de nombreuses œuvres abordent le sujet indirectement, confirme l’écrivaine Yoko Tawada.

En éclaireur, livre de Yoko Tawada publié au Japon en 2014, se concentre sur le contrecoup d’une grande catastrophe. Elle s’est inspirée des similarités entre les bombes atomiques, la catastrophe de Fukushima et la « maladie de Minamata » (un empoisonnement au mercure dû à la pollution industrielle dans le sud-ouest du Japon depuis les années 1950).

Godzilla est sans doute la plus célèbre des créations reflétant la relation complexe entre le Japon et le nucléaire : une créature préhistorique réveillée par des essais atomiques américains dans le Pacifique.

« Nous avons besoin de monstres pour donner un visage et une forme à des peurs abstraites », indique William Tsutsui, auteur du livre Godzilla dans ma tête (non traduit en français). « Dans les années 1950, Godzilla a rempli ce rôle pour les Japonais – avec l’énergie atomique, avec les radiations, avec les souvenirs des bombes A. »

Nombreux sont ceux qui ont quitté la salle en pleurant après avoir vu Godzilla raser Tokyo dans le film original de 1954. « Il est dit que les personnes chargées des effets spéciaux ont modelé la peau profondément ridée du monstre d’après les cicatrices chéloïdiennes des survivants de Hiroshima et Nagasaki », ajoute William Tsutsui.

Le thème du nucléaire est présent dans près de 40 films sur Godzilla, mais il est souvent peu mis en avant dans les intrigues. « Le public américain n’avait pas beaucoup d’intérêt pour les films japonais qui reflétaient la douleur et la souffrance des années de guerre et qui renvoyaient d’une certaine manière négativement aux États-Unis et à leur usage des bombes atomiques, » selon M. Tsutsui.

Malgré tout, la franchise reste extrêmement populaire, Godzilla Resurgence ayant eu un immense succès en 2016. Le film a été perçu comme une critique de la gestion de Fukushima.

Pluie noire, roman de Masuji Ibuse de 1965 sur la maladie et la discrimination dues aux radiations, est l’un des récits les plus connus sur le bombardement de Hiroshima.

Masuji Ibuse n’était pas un survivant, ce qui nourrit un « grand débat pour savoir qui est légitime pour écrire ce genre d’histoire », explique Victoria Young de l’université de Cambridge. « La manière de parler ou de créer une œuvre littéraire à partir de la vie réelle sera toujours une question difficile, dit-elle. Êtes-vous autorisé à écrire dessus si vous ne l’avez pas directement vécu ? »

Kenzaburo Oe, écrivain et prix Nobel de littérature en 1994, avait rassemblé des témoignages de survivants dans Notes de Hiroshima, une collection d’essais écrits dans les années 1960. Oe avait opté à dessein pour le genre documentaire, relève Madame Tawada. « Il se confronte à la réalité, mais essaye de l’approcher à travers un angle personnel » en incluant sa relation avec son fils handicapé, ajoute-t-elle.

L'écrivain japonais prix Nobel de littérature 1994 Kenzaburo Oe aux Assises internationales du roman, à Lyon, 25 mai 2015. (JEFF PACHOUD / AFP)

L’écrivain japonais prix Nobel de littérature 1994 Kenzaburo Oe aux Assises internationales du roman, à Lyon, 25 mai 2015. (JEFF PACHOUD / AFP)

Cette dernière a vécu en Allemagne pendant quarante ans, après avoir grandi au Japon. « L’éducation antimilitariste que j’ai reçue donnait parfois l’impression que seul le Japon fut une victime » lors de la Seconde Guerre mondiale, raconte-t-elle. « Quand il s’agit des bombardements, le Japon fut une victime – sans aucun doute » mais « il est important d’avoir une vue d’ensemble » en prenant en compte les atrocités qu’il a aussi commises.

Enfant, les illustrations des bombardements atomiques dans les livres d’images lui rappelaient les descriptions de l’enfer dans l’art classique japonais. « J’ai été amenée à me demander si la civilisation humaine n’était pas elle-même source de dangers, » souligne-t-elle. Dans cette perspective, les armes atomiques ne seraient pas tant « un développement technologique que quelque chose de tapi au sein de l’humanité ».