Derrière de grosses grilles, caché par la végétation, on peut passer devant sans vraiment le voir. Le bâtiment circulaire, intégralement vitré, qui a abrité pendant près de 20 ans un centre de balnéo et de thalassothérapie, posé à côté de l’Espace Mistral, à l’Estaque (16e), a pourtant toute une histoire… Menacé de démolition, comme en atteste le permis en date du 17 avril 2023, apposé sur la clôture, il a été finalement repéré par des habitants du bassin de Séon et des associatifs.

« Nous avons découvert que ce bâtiment, propriété du Grand Port maritime de Marseille, allait être détruit », explique Jonathan Cacchia, du collectif Thala. Et de poser la question du coût de la démolition, quand « le désamiantage a été terminé et que nous avons là un bâtiment purgé, assaini, à disposition. » Avec des brises vues et quelques travaux, le tour serait joué… La perspective d’une valorisation foncière, de type hôtel, ne le ravissant par franchement, cet architecte de métier raconte aussi comment il a pris connaissance de l’histoire du lieu.

« Il a été construit dans le cadre d’un seul et même projet, quand le commandant Cousteau a mis un pied à l’Estaque pour mettre en œuvre son projet de sous-marin », poursuit-il. Une passerelle relie ce que les habitants appellent désormais le « camembert Cousteau » au hangar qui abrite toujours le Saga, un sous-marin dont l’idée a germé dans l’esprit de l’iconique marin au bonnet rouge et qui sera réalisée plus tard par la Comex et l’Ifremer (lire par ailleurs).

L’ensemble a pour voisin le Drassm (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines). Un lien entre patrimoine maritime et recherche évident pour les habitants, qui voient là l’occasion de porter, dans un projet alternatif, sa mise en avant.

« Ce serait intéressant aussi d’avoir un musée de la mer à Marseille, cela fait 40 ans qu’on en parle, et ce serait bien qu’il s’étale sur le littoral et qu’il ne se concentre pas dans un bâtiment », estime Michel Teule, président de la fédération des comités d’intérêt de quartier du 16e arrondissement, évoquant le projet « Imertium » mené par Bruno Terrin, président de l’association La Navale, dédiée à la préservation du patrimoine maritime en Méditerranée (lire par ailleurs).

Jonathan Cacchia y voit aussi « une belle occasion pour la Ville d’illustrer concrètement son engagement, puisqu’elle a adhéré le 11 juillet à la convention de Faro. » Ce traité européen amenant les états signataires à s’entendre pour la préservation, la connaissance et la pratique du patrimoine culturel et, surtout, « de prévaloir le droit aux citoyens d’accéder à ce patrimoine et d’y participer. »

Au sein du camembert, c’est également toute l’histoire du quartier qu’on pourrait aussi découvrir. « L’Estaque, ce n’est pas qu’un village de pêcheurs », rappelle Michel Teule, « en 1850, 10 000 habitants sont tous venus travailler dans les usines. Toute une histoire ouvrière. » Parce que « les touristes, nombreux, quand ils débarquent de la navette maritime, ils ont quoi ? Les chichis et le sentier des peintres », ajoute à ses côtés Monica Beltrao, membre du comité d’intérêts de quartier (CIQ).

« Péter les grilles » pour accéder au port de la Lave

Réhabiliter le bâtiment répondrait également à une forte demande des habitants d’accéder au littoral. Outre sa fonction muséale, le camembert « pourrait accueillir aussi des activités ouvertes sur le quartier, un centre culturel, c’est ce que demandent les habitants depuis longtemps, un lieu associatif ouvert sur le quartier en lien avec le littoral et la ville » ajoute Michel Teule. Pour lui, « on est là dans un espace qui peut devenir un espace d’apaisement entre le port et les habitants, il faut savoir le prendre et le valoriser », tout ça en faisant « péter les grilles » qui empêchent aujourd’hui l’accès au port de la Lave.

La mobilisation citoyenne est d’ailleurs née des trois jours de réflexion lancés par 33 associations, le 22 juin, sur le réaménagement du Grand Estaque. Dans leur adresse aux élus de la Métropole, de la Ville, aux responsables du port qu’ils ont convié à une conférence de presse ce mardi 5 août sur site, le collectif « pour la sauvegarde du camembert de Cousteau » rappelle que, depuis la livraison de l’Espace Mistral en 1998, « la réalisation de ce que vous n’aviez pas encore nommé Grand Estaque est suspendue ». Une feuille de route a bien été évoquée en ouverture du conseil municipal, en décembre 2024 par la maire adjointe (DVG) de Marseille, Samia Ghali, écrivait La Marseillaise en juin dernier, la Ville estimant qu’il était « encore trop tôt pour avancer des éléments précis ou un calendrier détaillé. »

« On nous a promis que cela ne se ferait pas sans nous, mais pas une seule concertation n’a eu lieu », déplore Michel Teule.

En attendant, Hervé Menchon, adjoint (EELV) au maire de Marseille, en charge du Littoral, assure que « des hypothèses sont posées et des analyses sont en cours à la Ville ». Un déménagement du Saga vers la Major (2e) a bien un temps été évoqué… Dont on devine que l’élu ne le soutient pas vraiment. Mais si notre « Yellow Submarine » local « reste là », Hervé Menchon imagine déjà autour une promenade, un jardin… Travailler « en arborescence avec plusieurs sites » lui paraît notamment une piste sérieuse pour mettre en valeur tout le « patrimoine côtier » de la première ville côtière de France.