À Rennes, les vivants croisent les morts dans des lieux discrets, enveloppés de feuillages, de silences et de mémoire. Derrière des grilles souvent modestes, les cimetières racontent bien plus qu’une succession de noms. Ils dessinent un portrait de la ville à travers ses figures oubliées, ses anonymes, ses héros et ses artistes. Voici une balade, pas à pas, à travers ces lieux où l’histoire s’enracine et se perpétue.
Un couvent de croix : le minuscule cimetière de Notre-Dame de la Charité. Blotti près du parc Saint-Cyr, ce cimetière pourrait passer inaperçu. Une simple barrière blanche, grinçante mais accueillante, sépare le parc du recueillement. À l’intérieur, deux rangées de croix sobres. Ici reposent les religieuses de Notre-Dame de la Charité. Les pierres portent des prénoms anciens – Marie-Angélique, Élisabeth-Marie – qui évoquent une époque révolue.
Au fond de cimetière, une grande croix rend hommage à toute la communauté et à l’unique homme du lieu : l’abbé Joseph Massot, confident et pasteur de ces femmes pieuses. Longtemps, ces sœurs ont recueilli femmes en détresse et orphelines, et lavé le linge des casernes rennaises. Un travail rude, une vie effacée, mais un repos mérité.
Plus secret encore : le jardin funéraire des Petites Sœurs des Pauvres. Un peu plus loin, rue de Paris, à l’abri d’un mur de schiste, un autre cimetière s’efface dans la discrétion. Là reposent quelques religieuses, dont sœur Saint-Aaron, morte à 26 ans en 1871. Les croix blanches, les plaques émaillées et les enclos en bois composent un ensemble simple et émouvant.
Un banc en pierre invite à la prière, à la mémoire de Sainte Jeanne Jugan, fondatrice de l’ordre. Née en 1792 à Cancale, elle fonda à Saint-Servan une œuvre en faveur des plus démunis. Béatifiée en 1982, son héritage perdure.
Le Cimetière de l’Est : entre cicatrices de guerre et arbres centenaires. Ouvert en 1887, le Cimetière de l’Est est le plus vaste de Rennes : 16,5 hectares, 137 165 défunts, 29 000 sépultures. Il est un vrai livre de pierre, pensé par Martenot et Le Ray. On y trouve les tombes de grandes figures locales : Jean Boucher (sculpteur), Jean Janvier et Henri Fréville (anciens maires), ou encore Charles Tillon (résistant).
Mais ce cimetière porte aussi les marques d’un drame. Il abrite une stèle en mémoire des salariés de l’Economique, tués sous les bombes le 8 mars 1943 des alliés. Ce jour-là, 71 employés sont morts dans les abris, ensevelis ou brûlés. Aujourd’hui, ce lieu funéraire s’embellit de jour en jour grâce aux bons soins des jardiniers de la municipalité. Ginkgo biloba, copalme d’Amérique, lilas des Indes, cèdre centenaire… tout y est pour rendre agréable la vie de nos défunts.
Le Cimetière du Nord : entre pierre et mémoire. Dernière halte de notre promenade : le Cimetière du Nord. Moins connu que son voisin de l’Est, il n’en est pas moins essentiel. Créé sous la Révolution française, il abrite les traces visibles de la mémoire rennaise. Sous un ciel gris, on y déambule entre chapelles et tombes monumentales. Ici, la sœur de Chateaubriand ; là, les familles Bessec, Leperdit, Odorico, Martenot… Toute l’âme de Rennes repose dans ces allées.
Mais ce cimetière n’est pas qu’un lieu de souvenirs. C’est aussi une galerie d’art à ciel ouvert : gisants, colonnes brisées, sculptures, médaillons de bronze, plaques en relief représentant le Rennes d’autrefois. Il cache même quelques cultes comme celle de Notre-Dame des pochons. Outre celui méconnu de Saint-Laurent, ces quatre cimetières — discrets ou vastes, religieux ou civils — composentune autre géographie de Rennes. Ils racontent l’histoire sans musée, l’art sans galerie, le lien entre générations sans bruit. Y marcher, c’est comprendre d’où l’on vient. Et ce n’est jamais une promenade anodine.