Alors que la situation se tend entre le dirigeant du groupe Cybergun propriétaire de Verney-Carron et les employés qui ont manifesté à Saint-Etienne, mercredi devant le tribunal de commerce à l’appel de la CGT, l’audience devant faire le point sur le plan de continuation a été repoussée au 23 avril. Parallèlement, un appel d’offre pour une cession en cas d’échec a été lancé vendredi dernier, à la demande même de la direction du groupe Cybergun, a-t-il indiqué, même s’il juge cette voie beaucoup plus « défavorable ».

Mercredi dernier, la mobilisation des employés de Verney-Carron, devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne. ©If Saint-Etienne / XA

Fortuite ? Apparemment. Mercredi dernier, l’absence, forcée mais connue le jour même, d’un magistrat censé être de l’audience devant étudier le plan de continuation de Verney-Carron a donné lieu, de facto, au report de cet « examen » d’étape, sinon final dans le pire des cas. Il avait été fixé selon l’usage 2 mois après la mise en place de la procédure de sauvegarde. Le Tribunal de commerce fera finalement le point mercredi 23 avril. C’est en tout cas ce qui a été transmis pour explication à la CGT même si, selon nos informations, il est très peu probable qu’une autre décision – attendre encore pour voir plutôt que liquider sur le champ – ait été prise avec des effectifs juridiques au complet.

Le seul syndicat présent au sein l’entreprise était venu en force en début d’après-midi devant ce même tribunal rue de la Résistance à Saint-Etienne afin de manifester le désarroi des employés, réitérer, aussi, l’appel au secours lancé auprès de l’Etat ou encore vigoureusement pointer la gestion et le comportement de leur dirigeant, Hugo Brugière (à la tête du groupe Cybergun, propriétaire depuis 2022 de la PME) qu’il estime peu recommandables à la lecture de certains des panneaux* affichés mercredi… 65 employés sur 67 mais aussi des anciens de la boite, des adhérents ou autres sympathisants de l’UD CGT, voire spécifiques à la Métallurgie : ils étaient ainsi une petite centaine à attirer, parfois bruyamment, à coup de pétards tonitruants, l’attention en amont d’une audience qui n’a donc finalement pas eu lieu.

« Ce que nous vivons, ce n’est plus possible »

« Cela fait 21 ans que je travaille chez Verney-Carron, c’est le premier mouvement social que je connais, observe Pascal Darnon, représentant CGT. Vous le savez, nous avons été patients, très patients. Alors, oui, maintenant le ton monte. Mais il y a de bonnes raisons. Ce que nous vivons, ce n’est plus possible. Nous le répétons : s’il n’y a pas d’aides possibles de la part de l’Etat pour le plan de continuation présenté par Cybergun (pour rappel, un rachat à près de 70 % par le groupe public belge FN Browning mais exigeant un total de 4,5 M€ en garanties dont 2,5 M€ manquent avec le rachat des locaux par la Ville de Saint-Etienne, Ndlr), alors qu’il prenne ses responsabilités en investissant. Ce serait tout simplement cohérent avec les annonces et discours de réarmement. Tout comme de créer un Pôle national public autour de l’industrie de la Défense, aussi. On ne parle pas de nationaliser mais de se donner avec une participation les moyens publics d’être souverains. Ce que clame l’Etat. Nous ne voulons pas fabriquer des armes pour faire la guerre ou enrichir des individus mais garantir de manière indépendante notre sécurité. »

On ne parle pas de nationaliser mais de se donner avec une participation les moyens publics d’être souverains. Ce que clame l’Etat.

Pascal Darnon, représentant CGT

Il est souvent rétorqué, et encore récemment lors de questions / réponses à l’Assemblée nationale que l’emblématique PME stéphanoise est d’abord fabricante de fusils de chasse, 80 % de son activité. Certes. Mais c’est oublié que ses modèles de fusils d’assaut – lambda comme de précision – issus il y a quelques années de sa R&D existent, ne dérogent pas en qualité et ont déjà été vendus, marginalement, mais bien vendues à l’étranger ainsi que pour un modèle « customisé », à la France, elle qui lui a préféré l’industrie allemande pour remplacer l’aussi feu que fameux Famas. Mais c’était avant la Guerre en Ukraine puis la violence du second réveil matin, marqué Trump… C’est oublié que lui passer commande, c’est ouvrir la voie à l’obtention de fonds pour investir dans une production devant justement l’amener à se diversifier. C’est oublié encore, et peut être surtout, selon toutes les parties, y compris externes, rencontrées à ce sujet depuis fin 2022, qu’il s’agit de la seule entreprise française encore potentiellement capable de produire ces « armes de petit calibres » qu’aucun char Leclerc, avion Rafale et autres lunettes électroniques ou drone high-tech, ou même bricolé, n’a encore évincé des champs de bataille.

« La capacité à fabriquer déjà là »

Le cas Verney-Carron sera finalement étudié le 23 avril par le tribunal de commerce. ©If Saint-Etienne / XA

« Nous rappelons encore que le président de la commission de défense avait annoncé en décembre 2023, que Verney-Carron restait la seule entreprise française à pouvoir armer la France. La technologie de petit calibre reste un savoir-faire de l’entreprise, que ce soit pour des armes de chasse, de tir ou pour des produits militaires parallèlement à notre expertise en matière d’armes pour la sécurité intérieure », appuie à nouveau la CGT dans son dernier communiqué daté vendredi. « Si nous serions capables de relancer la machine en se concentrant en priorité sur le militaire ? Oui, ce serait possible dès maintenant, de réorienter notre production en priorité vers le militaire et la sécurité, répond à If Pascal Darnon. Après, rapidement, pour un cadencement exigeant, il faudrait des investissements réels dans l’outil de production (selon le syndicat, seuls 9,5 M€ des 20 M€ promis par Cybergun, et presque, exclusivement pour éponger les dettes, ont été investis contre 12, dit Hugo Brugière, Ndlr). Mais le savoir-faire et la capacité à fabriquer déjà là. Que l’on nous présente une autre entreprise capable de le faire… »

En attendant, la situation et ses conséquences économique, psychologique et sociale deviennent chaque jour moins tenables, témoignent les représentants syndicaux. « Cela devient plus qu’urgent que ça se décante. Depuis décembre, nous sommes en chômage partiel. Certains ne sont pas venus depuis 3 mois. On doit tourner autour d’un quart de temps de présence en moyenne », décrit Pascal Darnon. Faute de moyens, de matières premières, « nous ne pouvons même pas honorer un carnet de commandes loin d’être vide. La chasse, pour nous aussi, c’est un marché saisonnier. Or, c’est maintenant, dernier délai qu’il faudrait s’y remettre pour être prêts au niveau des livraisons ». Il faudra pourtant attendre, a minima, la fin avril, probablement plus. Le Tribunal de commerce examinera le plan de sauvegarde le mercredi 23 avril. Alors qu’aux dernières nouvelles, le gouvernement étudierait toujours le « bon véhicule » d’aide (articulé avec des garanties, sur le maintien de la production à Saint-Etienne) pour qu’il puisse être validé.

Une cession serait « clairement défavorable »

L’appel d’offre relayé sur les réseaux sociaux par l’administrateur.

Cela, malgré vendredi, l’ouverture d’un plan cession pur et simple de l’entreprise selon la CGT, confirmé ce lundi par plusieurs de nos sources à défaut, cette fois-ci d’un communiqué officiel de Cybergun. Le groupe avait mis sur la table cette « voie » là il y a un peu moins d’une semaine, juste avant l’audience du Tribunal avorté. Plan « B » moins enviable, soulignait-il : « La direction de la société, en concertation avec l’Administrateur judiciaire et afin de permettre une poursuite d’activité, a ouvert la voie à la mise en œuvre d’un plan de cession en cas d’incapacité à présenter un plan de redressement par voie de continuation. Cette solution, clairement défavorable pour l’intégralité des parties prenantes, salariés, fournisseurs, clients, pouvoirs publics et actionnaires, ne peut à ce jour être exclue. La Société reste pleinement engagée dans la réussite d’un plan de continuation essentiel au sauvetage. »

L’appel d’offre est bien paru sur les réseaux et le site de l’administrateur, le cabinet AJ UP, vendredi dernier. Là, la date limite pour déposer une offre a été fixée au lundi 5 mai, 16 h. Plus que jamais, la balle semble dans plusieurs camps.

* Par ailleurs, selon une publication du vendredi 11 avril de nos confrères de L’Informé, « Hugo Brugière préoccupe l’AMF (Autorité des marchés financiers, Ndlr) » au point que le Parquet national financier (PNF) aurait été saisi, assure le journal d’investigation, à propos de 4 sociétés qu’il gère dont Verney-Carron via le même fonds Alpha Blue Ocean. Nous avons cherché à contacter le dirigeant de Cybergun ce lundi 14 avril. En vain à l’heure où nous faisions paraître ces lignes.