Difficile d’être passé à côté du mot « surtourisme », qui a fait son entrée dans le Petit Robert cette année. Oui, le surtourisme, les paquebots géants, les hordes des touristes en claquettes qui viennent prendre un café chez Starbucks, se prendre en selfie et laissent un paysage de désolation derrière eux. De nombreux lieux touristiques à travers le monde ont tiré la sonnette d’alarme ces dernières années. Mais comment au juste détermine-t-on qu’un lieu est confronté au surtourisme ? Quelle est la limite entre « beaucoup de touristes » et « trop de touristes » ? On en parle avec Daniele Kuss, experte en tourisme international et ancienne cheffe du pôle développement du tourisme au ministère des Affaires étrangères.
Peut-on aujourd’hui définir précisément le surtourisme ?
Non, il n’existe pas de définition qui fasse consensus. Le terme est beaucoup porté par des associations militantes, qui parlent de surtourisme dès qu’il y a une forte affluence. Selon moi, on peut réellement parler de surtourisme à partir du moment où deux critères sont réunis : des dégradations environnementales ou patrimoniales et des nuisances pour les populations locales. Parfois, il n’y a aucun bénéfice pour celles-ci, même pas économique. Regardez les croisiéristes qui débarquent à Barcelone : ils saturent les Ramblas, polluent le sol et les fonds marins, mais ne logent et ne mangent pas sur place.
Peut-on fixer un seuil clair qui dirait « stop » ?
Il n’y a aucun indicateur universel. C’est une affaire de ressenti, comme le rappelle la définition du Petit Robert : une « présence touristique perçue comme excessive et nuisible ». Le diagnostic se fait souvent a posteriori, une fois les dégâts visibles ou les habitants excédés. À Venise, par exemple, on a fini par compter combien de personnes pouvaient physiquement tenir sur certaines zones, parce qu’il y a embouteillage humain. Il y a bien des quotas, comme dans les Calanques ou à Porquerolles, mais ils arrivent souvent trop tard. Et ils varient selon les lieux : ce qui est soutenable à Paris ne l’est pas dans un village côtier.
Comment agir avant que le mal soit fait ?
Il faut agir en amont, en répartissant les flux dans l’espace et dans le temps. L’Espagne a très bien travaillé là-dessus, en ciblant des publics non contraints par les vacances scolaires, seniors, jeunes couples, célibataires, et en promouvant des destinations moins connues hors saison. C’est plus qualitatif et moins saturé.
On peut aussi jouer de la carotte et du bâton. À Copenhague, les touristes qui viennent en train, à vélo ou ramassent des déchets sont récompensés : billets de concert, repas gratuits, cours de yoga… À l’inverse, certains territoires imposent des quotas stricts. Mais le plus important, c’est de sortir de la logique du nombre. Ce n’est pas combien de touristes on accueille qui compte, mais ce qu’ils rapportent, et comment ils se comportent.
Il faut mieux répartir les flux : dans le temps et dans l’espace. L’Espagne, par exemple, a beaucoup travaillé là-dessus. Elle a promu des destinations moins connues hors des périodes d’affluence, en ciblant les seniors, les couples sans enfants, les célibataires… Ces publics ne sont pas liés aux vacances scolaires. C’est un tourisme plus qualitatif. On peut aussi encourager les comportements vertueux : Copenhague récompense les touristes venus en train ou à vélo, ou ceux qui ramassent des déchets, en leur offrant des billets de concert. Il faut sortir de la logique du tout-nombre.
Aujourd’hui, 80 % des touristes se concentrent sur 20 % du territoire. On peut désengorger en créant des itinéraires culturels intelligents, des routes thématiques hors des sentiers battus, avec des étapes autour de la gastronomie, du patrimoine ou de l’artisanat. Il faut juste un peu de créativité… et de volonté politique.