(Ottawa) Conséquence directe des menaces de Donald Trump, Ottawa est sur le point de conclure avec l’Union européenne (UE) un partenariat militaire qui permettra au Canada de participer au plan de réarmement massif de l’Europe de 800 milliards d’euros d’ici 2030. Un pacte historique qui devrait profiter grandement à l’industrie canadienne.

Publié le 20 mars

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À lui seul, le Québec pourrait tirer avantage de ce partenariat militaire en raison de son dynamisme dans trois secteurs névralgiques : l’aérospatiale et l’intelligence artificielle, à Montréal, et la construction navale au chantier maritime Davie de Lévis.

Alimenté par l’hostilité des États-Unis, ce rapprochement a déjà poussé le premier ministre Mark Carney à réévaluer la décision d’acheter 88 avions de combat F-35 de la société américaine Lockheed Martin au coût de 19 milliards de dollars.

Le Canada a déjà payé la livraison des 16 premiers appareils à compter de l’an prochain. Mais pour le reste de la commande, aucun contrat n’a été signé. Résultat : le gouvernement fédéral songe à se tourner vers la société suédoise Saab pour acheter des avions de combat Gripen. D’ailleurs, Saab était arrivé deuxième dans l’appel d’offres pour remplacer la flotte vieillissante des CF-18 en 2023.

Dans sa proposition, Saab s’était engagée à assembler et à entretenir les avions au Canada, vraisemblablement dans la région de Montréal, et à transférer la propriété intellectuelle au gouvernement canadien. La société suédoise avait aussi promis de construire un centre de recherche et d’excellence dans la métropole.

« Si on va de l’avant, les Gripen vont être construits au Québec », a certifié une source gouvernementale bien au fait du dossier.

D’autres entreprises installées au pays pourraient aussi en profiter. À titre d’exemple, la société General Dynamics Land Systems Canada (GDLS), à London, en Ontario, construit des véhicules blindés d’appui tactique.

Trump et la genèse d’un pacte historique

Le Canada a décidé de cogner à la porte de l’Union européenne au début de l’année afin de conclure cet ambitieux partenariat militaire après que le président Donald Trump eut proféré ses premières menaces d’annexer le pays pour en faire le 51e État américain. Et avec son projet d’investir 800 milliards d’euros (1251 milliards CAN) dans son réarmement, l’Union européenne était un acteur de choix pour un partenariat.

« Les menaces proférées par le président Trump d’annexer le Canada ont été l’élément déclencheur de ces négociations. Il faut réduire notre dépendance face aux États-Unis à plusieurs égards, et cela comprend le militaire », a indiqué à La Presse une source gouvernementale haut placée qui a requis l’anonymat afin de parler librement de ce dossier.

Les pourparlers entre Ottawa et Bruxelles se sont intensifiés au fil des semaines et des déclarations intempestives du président américain, qui veut annexer le Canada par « la force économique » en imposant des droits de douane.

« L’Union européenne va consolider sa défense et augmenter sa production militaire. Nous voulons faire partie de ce projet », a ajouté une deuxième source de haut niveau qui a aussi réclamé l’anonymat pour les mêmes raisons.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, dans Charlevoix pour la rencontre des ministres des Affaires étrangères des pays du G7 la semaine dernière

Les derniers détails de l’accord entre le Canada et l’UE ont été finalisés dans Charlevoix par la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui pilote ce dossier depuis janvier, et la responsable des Affaires étrangères de l’UE, Kaja Kallas, à l’occasion de la rencontre des ministres des Affaires étrangères des pays du G7, selon nos informations.

Mercredi, la Commission européenne a publié un « livre blanc » sur la défense de l’Europe qui fait explicitement référence à un partenariat à venir avec le Canada.

« La Russie va demeurer une menace fondamentale à la sécurité de l’Europe dans l’avenir rapproché », prévient le document. Les membres de l’Union européenne doivent renforcer leurs capacités militaires, et le Canada peut les aider à le faire, poursuit le texte.

« Notre coopération avec le Canada s’est intensifiée et devrait être augmentée encore, pour renforcer aussi la sécurité transatlantique. Le dialogue bilatéral sur la sécurité et la défense ainsi que le futur partenariat sur la sécurité et la défense fournissent une base pour une coopération accrue », avance le livre blanc, qui mentionne notamment une collaboration pour augmenter la production des industries du secteur de la défense de part et d’autre.

Mark Carney : entretiens et poignées de main

M. Carney est rentré au pays mardi soir après une visite éclair à Paris, où il a rencontré le président français Emmanuel Macron, et ensuite à Londres, où il a rencontré le premier ministre britannique Keir Starmer.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Canada, Mark Carney, a été reçu par le président français, Emmanuel Macron, à Paris, lundi.

Durant les entretiens qu’il a eus avec les deux leaders, il a été beaucoup question de la défense et de la sécurité en raison du désengagement des États-Unis sous Donald Trump. Avant de partir pour l’Europe, M. Carney avait aussi eu un entretien avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour discuter du « plan ReArm Europe ».

« Le Canada est prêt à faire face aux menaces mondiales en se dotant de nouveaux équipements militaires et en collaborant avec ses alliés pour assurer la sécurité de tous », a affirmé Mark Carney sur le réseau X au terme de l’entretien.

En coulisses, les autorités canadiennes ont été confortées dans leur volonté d’opérer ce rapprochement stratégique dans la foulée de la décision des États-Unis de suspendre le partage de renseignements avec l’Ukraine pendant quelques jours. Cette décision a eu pour effet de couper le flux d’informations vitales à l’armée ukrainienne pour contrer les attaques des envahisseurs russes. Elle est intervenue quelques jours après que Donald Trump eut mis sur pause l’envoi d’aide militaire à l’Ukraine. Et la suspension du partage de renseignements a permis à la Russie de chasser l’armée ukrainienne des villages russes de la région de Koursk.

Plusieurs entreprises européennes du secteur de la défense sont déjà très actives à Ottawa pour tenter de nouer des partenariats.

L’entreprise ThyssenKrupp Marine Systems, qui est dans la course pour vendre ses sous-marins à la marine canadienne, a commandité un colloque de l’Institut de la Conférence des associations de la défense à Ottawa les 5 et 6 mars derniers. De hauts responsables militaires canadiens participaient à l’évènement.

ThyssenKrupp a déjà confirmé que sa future « torpille anti-torpille » serait construite en partie au Canada. L’entreprise a aussi invité Ottawa à devenir partenaire avec l’Allemagne et la Norvège au sein du programme de nouvelle génération de sous-marins.

« Vous allez être frappés par ces [mesures tarifaires des États-Unis]. Vous devez chercher de nouveaux partenariats. À mon avis, un partenariat avec l’Allemagne et la Norvège semble très stable », a déclaré le PDG de l’entreprise, Oliver Burkhard, en entrevue avec La Presse lors de son passage au pays récemment.

PHOTO LOULOU D’AKI, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Ouvriers travaillant sur un jet à l’usine de Saab, à Linköping, en Suède

Le constructeur militaire suédois Saab, qui a remporté un contrat de 227 millions l’an dernier pour fournir des missiles sol-air portatifs aux soldats canadiens, dispose aussi de plusieurs lobbyistes qui multiplient les rencontres avec des représentants du gouvernement fédéral. Saab produit notamment des avions de chasse, des navires de guerre et des sous-marins.

Le Canada a aussi tissé des liens étroits avec l’industrie maritime en Finlande depuis l’acquisition d’un chantier naval d’Helsinki par le chantier Davie de Lévis.

L’avion Saab JAS 39 Gripen en bref

PHOTO BENOIT TESSIER, ARCHIVES REUTERS

Des avions de combat Gripen à l’aéroport de Lulea, en Suède

Rayon de combat : 1500 km

Vitesse maximale : Mach 2

Armement : canon Mauser de 27 mm et 10 points d’ancrage pour missiles ou bombes divers

Prix estimé par unité : 122 millions

Coûts opérationnels estimés : 6700 $ par heure de vol

Moteur : un moteur unique General Electric

Sources : Saab, Janes Information Services, Airforce Technology, AeroTime