«Je me disais: “Tabarnouche! C’est weird cette affaire-là”», se rappelle Louis St-Pierre, en rigolant.
Le jeune homme ne restera pas traumatisé bien longtemps par son premier contact avec La métamorphose. Quelques années plus tard, alors qu’il étudie en cinéma, la figure de l’écrivain tchèque viendra à nouveau visiter son imaginaire.
«Après ma deuxième année de bac, on est allé faire une session d’été à Prague, en République tchèque. Là-bas, j’ai réalisé un court métrage documentaire sur Franz Kafka. […] Mais, en revenant à Montréal, le sujet continuait de bourdonner dans mes oreilles. J’avais l’impression que je n’avais pas fini d’en faire le tour», raconte Louis St-Pierre, en entrevue au Soleil.
Pertinent pour notre époque
En creusant dans cette œuvre littéraire mythique et tout ce qui l’entoure, il a découvert une voix toujours pertinente pour notre époque: un écrivain qui cultivait le doute.
«On a accès à presque tout ce qu’il a écrit. […] Énormément de gens ont écrit à propos de lui… Et pourtant, il reste une espèce d’énigme insondable. […] Ce qui me fascine, c’est à quel point il a une manière de se défiler», estime le trentenaire, qui aime le côté insaisissable et mystérieux de l’écrivain.
Face à une époque où la désinformation s’insinue partout, où l’on est souvent certain de posséder la vérité, Louis St-Pierre a donc eu envie de cultiver l’idée du doute à travers un premier roman.
Dans La république de Kafka, lauréat du prix Robert-Cliche 2025, l’auteur s’amuse ainsi à garder ses lecteurs sur le qui-vive. Son polar, bien campé dans la fiction, raconte l’histoire d’un réalisateur québécois invité à Prague pour faire un documentaire sur Franz Kafka, à l’aube du centième anniversaire de décès de l’auteur.
Quel personnage dit la vérité? À qui peut-on faire confiance entre les lignes du livre? Même la forme du texte contribue à créer des hésitations chez les lecteurs. Comme un jeu.
«Je suis un gars très structuré. Je crois en la forme narrative. J’en ai besoin pour m’ancrer… Mais, avec ce projet-là, j’ai tout laissé tomber. J’y suis allé un chapitre à la fois. Il fallait que je m’amuse, que je me déroute moi-même. […] Jouer avec la forme, ça me permettait de créer une autre remise en question dans l’esprit du lecteur», souligne-t-il.
Louis St-Pierre le confirme: pas besoin d’être un spécialiste de Kafka ou de la littérature tchèque pour apprécier son œuvre. Au contraire, tout le monde pourra plonger dans son thriller politique, estime-t-il, rappelant que même le protagoniste du roman ne connaît pas grand-chose sur le sujet.
Du 7e art à la littérature
Même s’il a étudié en cinéma, Louis St-Pierre aime toucher à différentes formes d’art, selon les sujets qui l’interpellent.
Selon lui, La république de Kafka devait être porté par la littérature. Et ce, même si son écriture demeure très cinématographique.
Pour expliquer son choix, l’auteur citera Kafka lui-même: «Je suis entré dans la littérature quand j’ai substitué le “il” au “je”».
«Quand tu regardes un film, tu regardes toujours le “il”. Il y a moyen de faire une caméra subjective, mais ce n’est jamais très efficace. Il y a toujours la relation entre le spectateur et l’écran. Alors qu’en littérature, je pouvais écrire au “je” sans que ce soit moi», explique Louis St-Pierre.
C’est dans l’écriture que l’auteur a trouvé la proximité, le «rapport intime» nécessaire à La république de Kafka.
L’artiste se réjouit d’ailleurs qu’un jury comme celui du prix Robert-Cliche ait accepté de plonger dans son univers, dans cette histoire «volontairement déroutante».
«[Dans le livre], j’essaie des choses qui sont un peu casse-gueule, mais je pense que je retombe sur mes pieds. […] De se faire dire “Eille on a compris ce que tu essayais faire. Ça marche. C’est cool”, c’est le plus grand cadeau», se réjouit le jeune romancier.
Par le passé, le prix Robert-Cliche a récompensé Tout est ori de Paul Serge Forest, Saint-Jambe d’Alice Guéricolas-Gagné, Smiley de Michel Désautels, Chère voisine de Chrystine Brouillet et plusieurs autres.
La république de Kafka est offert en librairie.