Un patient pensait simplement calmer ses brûlures d’estomac. Son médecin découvre que le médicament utilisé, un IPP, interférait avec son traitement contre le cancer. Ce cas, loin d’être isolé, révèle une interaction médicamenteuse préoccupante. Le professeur Jean-Luc Raoul, oncologue, tire la sonnette d’alarme.
Les traitements contre le cancer ont connu des avancées majeures ces dernières années, notamment grâce à l’immunothérapie et aux thérapies ciblées. Pourtant, une interaction encore trop peu connue pourrait en réduire l’efficacité. C’est notamment le cas de celle entre les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), prescrits pour soulager les troubles digestifs, et certains médicaments anticancéreux. Le professeur Jean-Luc Raoul, oncologue à Saint-Herblain, alerte sur ce phénomène dans une étude publiée en 2024. Il révèle qu’un quart des patients sous traitement anticancéreux prennent simultanément des IPP, avec des conséquences potentiellement graves sur leur survie.
Des médicaments incompatibles avec le traitement anticancéreux Des médicaments très répandus, mais mal surveillés
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), tels que l’oméprazole, l’ésoméprazole ou le lansoprazole, figurent parmi les médicaments les plus prescrits en France, avec plus de 16 millions de prescriptions en 2019. Leur efficacité contre les brûlures d’estomac, les ulcères et le reflux gastro-œsophagien en fait des alliés fréquents, y compris chez les patients atteints de cancer. Pourtant, leur usage est souvent prolongé sans réévaluation et leur impact potentiel sur les traitements oncologiques reste largement sous-estimé. Selon le professeur Jean-Luc Raoul, ces prescriptions, parfois initiées par les oncologues eux-mêmes pour soulager les effets secondaires digestifs, peuvent interférer avec l’efficacité des thérapies anticancéreuses, rapporte Au Féminin.
Une absorption perturbée des traitements ciblés
Les IPP agissent en réduisant l’acidité gastrique, ce qui modifie le pH de l’estomac. Or, certains traitements anticancéreux, notamment les inhibiteurs de la tyrosine kinase (ITK) comme l’erlotinib, le gefitinib ou le pazopanib, nécessitent un environnement acide pour être correctement absorbés. En neutralisant cette acidité, les IPP diminuent la biodisponibilité de ces molécules, réduisant leur concentration dans le sang et donc leur efficacité thérapeutique. Cette interaction peut compromettre les chances de rémission, voire entraîner un échec du traitement.
Un impact sur le microbiote et l’immunothérapie
Au-delà de l’absorption, les IPP perturbent l’équilibre du microbiote intestinal, élément central du système immunitaire, révèle Ouest-France. Or, l’efficacité de l’immunothérapie repose sur une réponse immunitaire robuste et bien régulée. Plusieurs études ont démontré que les patients sous IPP avant ou pendant une immunothérapie présentent une survie globale réduite et un taux de réponse plus faible. Cette altération du microbiote peut nuire à l’action des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire, comme le nivolumab ou le pembrolizumab.
Adapter les prescriptions pour protéger les patients Faut-il arrêter les IPP ?
L’arrêt des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) ne doit pas être systématique, mais envisagé avec discernement. Le professeur Jean-Luc Raoul insiste sur une réévaluation individualisée, en tenant compte du type de traitement anticancer et de l’état digestif du patient. Une étude rétrospective nationale est en cours pour mieux cerner l’impact réel de ces interactions, mais ses résultats ne seront disponibles que dans plusieurs années. En attendant, chaque patient sous traitement oncologique devrait discuter avec son médecin de la pertinence de son traitement anti-acide, afin d’éviter toute interférence potentielle avec les thérapies anticancéreuses.
Quelles alternatives envisager ?
Pour les patients souffrant de reflux ou de brûlures d’estomac, des alternatives aux IPP existent et peuvent être envisagées sans compromettre l’efficacité des traitements anticancéreux. Les antiacides classiques, comme le Gaviscon, offrent un soulagement rapide et ponctuel sans modifier le pH gastrique de manière prolongée. Les antagonistes des récepteurs H2, tels que la ranitidine ou la famotidine, sont également recommandés. Certes, ils agissent plus lentement, mais ils présentent un risque d’interaction bien moindre avec les thérapies ciblées ou l’immunothérapie. Ces options doivent être adaptées au profil du patient, en privilégiant les formes les moins invasives et les plus compatibles avec le protocole oncologique.
Informer les patients pour mieux les protéger
La prévention passe avant tout par l’information. Trop de patients ignorent que leur traitement digestif peut compromettre l’efficacité de leur protocole anticancer. Une coordination renforcée entre oncologues, médecins généralistes et pharmaciens est essentielle pour éviter les prescriptions prolongées ou inappropriées. Par ailleurs, les professionnels de santé doivent sensibiliser les patients aux risques d’interaction, tout en leur proposant des alternatives sûres.