Par

Marie-Madeleine Remoleur

Publié le

5 août 2025 à 18h30

« Ce nom lui va vraiment bien », sourit Karl Laurent, apposant la nouvelle étiquette rebaptisant une des œuvres de l’exposition « Trouville, c’est mon Amérique à moi » visible au musée Montebello : Entrée du port de Trouville ou L’Invincible gagnant le port de Trouville.

Ce nouveau nom conserve « la trace et la mémoire de cette histoire qui fait désormais partie de l’histoire de l’œuvre ». Celle d’une enquête rondement menée par le conservateur du musée trouvillais pour redonner le véritable nom à cette huile sur toile, la première peinture à être rentrée dans les collections municipales.

« En 1868, la veuve de Charles Mozin avait offert ce tableau à la Ville de Trouville-sur-Mer en souvenir et en hommage de tout l’amour que Charles Mozin pouvait lui porter ». Une grande huile sur toile de 1855 que l’on connaît depuis des années comme L’Invincible gagnant le port de Trouville et qui, désormais, a retrouvé son nom d’origine.

Des premiers doutes

C’est en préparant l’exposition actuellement visible au musée Montebello et un ouvrage dédié à Charles Mozin que Karl Laurent a pu prendre le temps de se replonger dans la vie du peintre, l’histoire de ses œuvres. Un temps précieux qui lui a permis de percer le mystère du tableau. « Tout est parti d’un doute », raconte le conservateur du musée rappelant qu’on prend rarement le temps de s’interroger sur le nom d’une œuvre : « Pourquoi remettre en question ce qui est indiqué partout, ce qui est publié ».

Néanmoins, face à cette grande huile sur toile, Karl Laurent a toujours été « surpris » par ce titre. « Je me demandais pourquoi on se focalisait sur le bateau de pêche, l’Invincible, alors que ce tableau c’est bien plus qu’un bateau qui rentre au port », raconte-t-il. Une interrogation complétée par d’autres mystères. « On savait qu’au Salon de 1855, qui était intégré à l’exposition universelle et qui avait donc une importance particulière, Mozin avait envoyé deux tableaux : une vue du port de Rouen et une entrée du port de Trouville ». Ce deuxième tableau reste un mystère pour le conservateur. « On ne savait pas vraiment ce qu’était cette entrée du port de Trouville ».

Autre questionnement, celui de la taille de l’huile sur toile de l’Invincible appartenant au musée. « Un tableau de ce format-là, pour un peintre à l’époque, si ce n’est pas une commande, c’est un investissement énorme. Ça vaut le coup, si c’est une œuvre de salon, si elle est vraiment vue ».

Autant d’éléments sur deux œuvres qui n’ont pas le même nom, dont des bribes manquantes de leurs histoires semblaient pourtant les rapprocher… et qui ont interrogé Karl Laurent. « Un doute a surgi et j’ai voulu remonter et comprendre l’histoire de ce tableau ».

Une entrée du port devient l’Invincible

Pour mener son enquête, Karl Laurent se penche sur les inventaires du musée et les délibérations du conseil municipal. « En février 1868, on peut lire dans une délibération que le conseil municipal remercie Madame Mozin pour le don de cette peinture qui représente l’entrée du port de Trouville, raconte-t-il. Il n’y a pas de guillemets, ce n’est pas présenté comme un titre, mais il est repris tout de même cette formule… et à aucun moment la délibération ne stipule l’Invincible ».

Les doutes commencent alors à prendre plus corps dans l’esprit de Karl Laurent. Ce dernier se tourne alors vers l’inventaire du musée réalisé en septembre 1939, peu de temps après la création du musée. Dans ce catalogue, on retrouve « une entrée de la Touques », mais « toujours pas d’Invincible regagnant le port de Trouville ».

De document en document, en avançant dans le temps, Karl Laurent a retrouvé l’origine de la confusion. « Un antiquaire de Trouville passionné de Charles Mozin a publié un livre en 1987 qui est super. Il y publie ce qu’on appelle la Vente Mozin, c’est-à-dire tout son fond d’atelier qui a été dispersé après son décès, et les œuvres exposées au salon. Il parle bien de l’Entrée du port de Trouville sauf qu’il ne fait pas le lien… et quelques pages après, il mentionne un Invincible gagnant le port de Trouville avec les mêmes dimensions que notre tableau et un numéro d’inventaire qui correspond bien à l’Entrée de la Touques de l’inventaire de 1939. On tourne vraiment autour de ce tableau ».

Une confusion qui restera… puisqu’en 1988, les musées de Trouville et de Honfleur organisent la première grande exposition consacrée à Mozin. « Les deux conservatrices de l’époque ont repris le titre : L’Invincible gagnant le port de Trouville. Et depuis on le reprend, moi-même lors de l’exposition de 2018 ».

« Ça n’est pas n’importe quel tableau »

En faisant le parallèle entre un nom qu’on retrouve partout et un autre sorti de nulle part, Karl Laurent a pu résoudre cette enquête.

Si ce nom peut paraître un petit détail pour le commun des mortels, c’est loin d’être le cas. « Ça raconte vraiment l’œuvre et ça permet de raccrocher à l’historique d’un tableau dont on n’avait pas de trace, ce travail d’association est souvent complexe, insiste Karl Laurent. Ça veut dire que madame Mozin n’a pas offert n’importe quel tableau. Elle a offert à la ville une œuvre majeure, le tableau exposé à l’exposition universelle de 1855. C’est significatif. Pour nous ce tableau a toujours été essentiel car c’est le premier à avoir rejoint nos collections, mais en fait, c’est beaucoup plus que ça ».

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