Il paraît délirant, mais il est bien réel. Ce projet de taureau géant, porté par l’Académie espagnole de tauromachie, a l’ambition de dépasser la tour Eiffel. Sa raison d’être part d’un constat simple : la France est le pays le plus visité au monde (90 millions de visiteurs), et l’Espagne le deuxième (85 millions) — selon l’Organisation Mondiale du Tourisme. « L’Espagne est considérée comme l’une des destinations touristiques les plus prisées au monde depuis des décennies, prône l’Académie espagnole de tauromachie. Elle bénéficie d’un climat agréable, d’une excellente cuisine, d’une culture riche, de magnifiques paysages de montagne et de plages, et de célèbres festivals » Mais alors, que manque-t-il à l’Espagne pour gagner les quelques millions de visiteurs qui lui permettraient de surpasser la France ?
Un taureau monumental comme emblème national
Selon l’Académie espagnole de tauromachie, l’explication infaillible est l’absence d’un monument national emblématique. La tour Eiffel est, en effet, l’un des sites historiques les plus fréquentés au monde, ayant attiré 6,3 millions de personnes en 2024 et générant quelque 100 millions d’euros par an. Elle évoque à elle seule l’identité française. « L’Espagne pourrait être en tête du classement mondial du tourisme international, surpassant à jamais la France, si tous les Espagnols, avec le soutien des pouvoirs publics, croient fermement à la construction de notre icône tant attendue, afin que, enfin, la tour Eiffel cesse d’être le monument le plus visité au monde », a déclaré l’Académie à l’annonce de son projet, « El Toro de España » (« le taureau d’Espagne »). « Dans le marketing touristique international, il est très courant d’utiliser l’image de la tour Eiffel pour évoquer un voyage en Europe. C’est le cas de la Statue de la Liberté pour l’Amérique du Nord, de la Pyramide du Soleil pour l’Amérique centrale, du Machu Picchu pour l’Amérique du Sud, des Pyramides d’Égypte pour l’Afrique, de la Grande Muraille de Chine pour l’Asie et des statues de l’Île de Pâques pour l’Océanie ». L’objectif serait, ainsi, d’éblouir tellement les visiteurs d’Espagne avec « El Toro », qu’ils en oublieraient la tour parisienne, et privilégieraient ce nouvel emblème pour immortaliser leur voyage en Europe.
Ce projet de taureau monumental est porté par l’Académie espagnole de tauromachie.ACADEMIA ESPAÑOLA DE TAUROMAQUIA
Un projet très (trop ?) ambitieux
L’ambition est immense, encore faut-il que le programme soit accepté par une municipalité espagnole afin qu’il puisse voir le jour. Concrètement, la statue prendrait la forme d’un taureau en métal, érigé sur plus de 300 mètres de haut — une prouesse d’ingénierie jamais réalisée jusque-là — et nécessiterait un site suffisamment vaste pour l’accueillir. Jorge Alvarez, président et fondateur de l’Académie espagnole de tauromachie, a exprimé sa vision au micro de Radio España : « El Toro » aurait besoin d’une ville à forte affluence touristique, afin de garantir sa viabilité économique et, en outre, de favoriser la croissance commerciale et la création d’emplois dans toute la zone.
Pourquoi l’Espagne choisirait-elle ce taureau comme porte-étendard de sa culture ? Selon l’Académie, qui défend la pratique de la corrida depuis sa création en 2023, le symbole est idéal. Cette pratique ancestrale est ancrée dans l’histoire du pays et bénéficie même du statut de patrimoine culturel grâce à une loi promulguée en 2013. « L’Espagne ne possède pas d’icône matérielle majeure pour la représenter, souligne Jorge Alvarez. Alors, quoi de mieux que le taureau ? Tous les touristes ramènent une statue de taureau chez eux lorsqu’ils viennent en Espagne. La Fête nationale est connue dans le monde entier, même à Hollywood, et de grands artistes internationaux se sont produits dans nos arènes. Même les Beatles, lors de leur passage en Espagne, se sont produits à Las Ventas de Madrid et au Monumental de Barcelone (…) Qu’on le veuille ou non, le taureau nous représente, surtout à l’étranger ». De plus, les cornes de l’animal permettraient d’offrir un panorama exceptionnel aux visiteurs qui s’y élèveraient. La structure créerait nombre d’emplois, de commerces et de lieux de restauration autour de la zone, sans pour autant piocher dans les caisses de l’Etat, le projet étant financé par des investisseurs privés.
Opération séduction pour les défenseurs de la corrida
Reste à convaincre les détracteurs de la corrida, qui représentent tout de même 77% des citoyens espagnols. « C’est un cas de colossal idiotisme, dans la définition classique de l’idiot comme celui qui se croit seul au monde, s’est ému le critique d’art Fernando Castro Florez dans une interview accordée au Figaro au sujet d’« El Toro ». Si l’on veut vraiment créer une icône touristique, autant ériger une poêle à paella géante ou une carafe de sangria monumentale »
Pour l’heure, « El Toro » a été rejeté par Madrid, sans raisons affichées. L’Académie espagnole de tauromachie s’efforce donc de séduire d’autres municipalités pour mener à bien ce projet colossal ; visant, selon nos confrères du Point, y compris de petites villes de 10 000 habitants.