Depuis que leur « soleil est parti », il n’y a pas qu’en Afrique du Sud que le mois d’août est en hiver. À quelque 9 000 km d’Agen et des vagues de canicule, le temps s’est figé au Cap pour la famille Narjissi, qui a ramené toute sa peine et sa colère dans ses valises. Un an après la disparition à seulement 17 ans de leur fils Medhi, emporté le 7 août 2024 par une vague à Dias Beach lors d’une séance de récupération avec l’équipe de France U18 au large du cap de Bonne-Espérance, Valérie et Jalil Narjissi sont de retour cette semaine au Cap avec sa sœur Inès et l’une de ses tantes. « Ce n’est pas un voyage pour nous, c’est un déplacement pour Medhi », insiste l’ancien talonneur du SU Agen (2004-2016).
« Ils ont joué avec la sécurité et la vie de nos enfants. Pour nous, c’est un crime. Depuis, on ne vit plus »
« C’est un endroit maudit pour nous, parce qu’il y a eu des erreurs graves commises par des adultes qui avaient la responsabilité de mineurs. » La plus terrible a été la décision du préparateur physique Robin Ladauge de descendre sur une plage réputée comme l’une des plus dangereuses au monde pour une séance de récupération improvisée, alors que les U18 participaient à une excursion dans la péninsule du Cap au cours d’un jour « off » durant l’International Series. Un tournoi lors duquel ils devaient affronter à deux reprises l’Afrique du Sud et l’Angleterre. Il a viré au cauchemar. « Ils ont joué avec la sécurité et la vie de nos enfants. Pour nous, c’est un crime. Depuis, on ne vit plus. »
« Pas un anniversaire »
Jeudi 31 juillet dernier, à la veille du départ, à la terrasse du Café de la Gare d’Agen où il avait fait une dernière bise à son fils un an plus tôt et où il n’était encore jamais revenu, Jalil Narjissi a prévenu, étranglé par les sanglots : « On n’y va pas pour un anniversaire. » Non, il ne s’agit pas non plus d’un pèlerinage. Ils sont là avant tout pour honorer la mémoire de leur fils, dont le corps n’a jamais été retrouvé. « On y va pour Medhi. C’est là où ça s’est passé, c’est là où il est. On n’a que ça. On n’a rien pour se recueillir, rien pour faire notre deuil, on ne l’a jamais récupéré. Même si c’est très dur et que je ne sais pas comment on va réagir, il fallait y revenir. C’est en nous. On avait besoin de faire quelque chose pour lui là-bas. »
Medhi Narjissi avait été recruté par le Stade Toulousain après sa formation au SU Agen.
NICOLAS NIEDERGAND / « LA DÉPÊCHE DU MIDI » / MAXPPP
La famille Narjissi a ainsi obtenu du patron du Parc national de la pointe du Cap et du chef des Rangers d’installer un banc avec une plaque et la photo de Medhi juste au-dessus de Dias Beach, au départ des marches qui mènent à l’océan. « Ça fait cinq mois qu’on bataille – avec l’appui du consulat de France sur place – pour négocier les autorisations dans cette réserve protégée. On va aussi les remercier. » Depuis leur arrivée au Cap, Valérie, Jalil et Inès vont tous les jours marcher dans le parc national. Une cérémonie d’inauguration, dans la plus stricte intimité, est prévue ce jeudi à 15 heures, à l’heure même où, il y a un an jour pour jour, Medhi et ses camarades ont pris ce sentier avant de se mettre à l’eau. Ce lieu de recueillement sera-t-il suffisant pour leur permettre d’entamer enfin leur deuil ?
Une nouvelle plainte
L’autre objectif de cette semaine au Cap, financée grâce à la cagnotte lancée par le Stade Toulousain, est de poursuivre le combat judiciaire qui est désormais leur raison de vivre. « Nous allons porter plainte contre le voyagiste, Frédéric Plachési, qui a encadré cette journée de découverte. C’est un Français, et un ami proche de Robin Ladauge, qui possède des lodges (Tamboti Bush Lodge) à Pretoria et encadre depuis sept ans les équipes nationales en Afrique du Sud. Il connaît bien les lieux, il a sa responsabilité dans ce drame. Il aurait dû s’opposer à la mise à l’eau. Il dit qu’il n’a pas assisté à la baignade et qu’il était parti méditer sur un rocher, mais il a pris des photos de la séance depuis la falaise… »
Le rendez-vous est fixé à ce vendredi avec le procureur depuis trois semaines. Mais Jalil Narjissi n’est pas encore sûr qu’il sera maintenu. Après la mise en examen pour homicide involontaire du préparateur physique Robin Ladauge (le 16 mai, placé sous contrôle judiciaire) puis du manager Stéphane Cambos (le 2 juin), la famille Narjissi le promet : « La chaîne des responsabilités, ça sera du début jusqu’à la fin. Il faudra qu’ils disent la vérité, parce qu’on ne lâchera pas. On poursuivra notre combat jusqu’au bout, pour la vérité, pour Medhi. » Leur prochaine cible ? Le président de la Fédération française de rugby (FFR), Florian Grill. « Il n’a pas mis notre fils à l’eau, mais il est aussi responsable de ce drame. Il se défausse en disant beaucoup de mensonges et il a préféré poursuivre les élections fédérales plutôt que de nous accompagner l’an dernier. Il doit assumer. »
Le magistrat d’Agen Serge Rey étant parti à la retraite, une nouvelle juge d’instruction entrera en fonction le 1er septembre. « On attend qu’elle continue le très bon travail de son prédécesseur. On veut la vérité et la justice pour Medhi. Ça ne nous le ramènera pas, mais j’espère que ça débouchera sur un procès. Il y a la perte d’un enfant et une famille détruite. Nous, on a pris perpétuité. »