Huit années se sont écoulées. Mais elles n’ont rien effacé. Si Anne a appris à vivre avec le vide laissé par la mort de son compagnon, tué par un coup de poing lors d’un banal accrochage entre deux véhicules sur la pénétrante du Paillon en 2017, « chaque mort injuste sur la route, comme celle de ces deux infirmières sur l’autoroute à Mandelieu [le 26 juin] ravive en moi de la colère et beaucoup de compassion pour les familles de victimes. »
Le 18 mai 2017, en fin de journée, son compagnon rentre du travail. Jean-Pierre Lapi est au volant de son pick-up. Ce chef d’entreprise du bâtiment à Monaco ne reviendra jamais à son domicile. Un banal accrochage survient avec un autre automobiliste.
Les deux véhicules se heurtent légèrement. Les deux conducteurs descendent. Un coup de poing fuse en plein dans la figure de Jean-Pierre.
Il tombe et il succombera trois semaines plus tard d’un traumatisme crânien. Il n’est jamais sorti du coma. Aucunes traces de drogue ou d’alcool ne seront relevées chez les conducteurs.
Une banale dispute au volant qui se termine tragiquement. Et en quelques secondes, les vies de deux familles qui basculent.
« La route me terrorise »
« On ne se remet jamais d’un tel drame. Et c’est d’autant plus injuste que je suis persuadée qu’on peut éviter de telles tragédies. Huit ans après la perte de mon compagnon, la route me terrorise encore. Ma vie quotidienne est impactée à jamais. Jusqu’ici, je n’ai jamais osé prendre la parole. Aujourd’hui, je veux le faire. Pas pour plus de justice, mais pour éviter que ces drames arrivent. Il fait absolument œuvrer en amont et ça passe par la prévention et l’éducation de tous les usagers de la route. »
« La justice vient après et ça ne répare jamais totalement »
Pour Anne, les familles des victimes ont aujourd’hui juste gagné une partie de la bataille avec la loi sur l’homicide routier.
« La justice? Bien sûr que c’est essentiel, témoigne-t-elle. Elle participe peut-être à faire le deuil mais alors il faut laisser plus de place aux victimes dans les procès. Mais quelle qu’elle soit, la condamnation ne change rien à la douleur. Elle vient après. Et après, c’est trop tard, ça ne répare jamais. Il faut agir avant. C’est impératif pour ne pas que nos routes se transforment en bombe humaine. »
« Il faut éduquer et encore éduquer »
Pour Anne, dans le combat contre les violences routières, on méprise la prévention et l’éducation: « Mon compagnon est décédé à la suite du coup de poing d’un autre automobiliste. Le contexte, c’était une circulation difficile en fin de journée marquée par des ralentissements. Pas de drogue, pas d’alcool. Mais une puissante agressivité qui l’a plongé dans le coma. Par qui est-ce audible dans une société civilisée avec des gens censés être éduqués? Que l’alcool et la drogue soient en jeu, ou pas, il faut éduquer et encore éduquer aux bons comportements sur la route. Comme on éduque aujourd’hui les enfants à préserver notre planète, éduquons-les aussi à préserver nos routes de tels drames. Mais faisons-le vraiment en faisant témoigner les victimes, quand c’est encore possible, ainsi que les proches. »
« Il faut plus de contrôles, en journée aussi »
Elle appelle aussi « à plus de contrôles sur les routes. En quarante-trois ans de conduite, je n’ai jamais été contrôlée une seule fois. La violence routière, ce n’est pas que le samedi soir à la sortie des discothèques. Mon compagnon s’est fait tuer à 17 heures. Pour ces deux pauvres infirmières, c’était à 6 heures. Prenons le problème en amont et faisons en sorte que la route ne soit plus un cimetière. On est tous des victimes potentielles. Il faut que ça s’arrête. »