Les 6 et 9 août 1945 s’abattaient sur Hiroshima puis Nagasaki, au Japon, les premières bombes atomiques de l’Histoire. Les deux seules armes nucléaires à avoir été à ce jour utilisées en temps de guerre ont laissé derrière elles des paysages dévastés et fait plus de 200 000 morts. Et « 80 ans après Hiroshima, la peur de la guerre nucléaire est de retour », s’inquiète un chroniqueur de la chaîne publique allemande ZDF, Stefan Brauburger.
L’Union européenne – via l’Otan – dont la France est la seule puissance nucléaire, est certes couverte par le « parapluie nucléaire » américain. 20 ogives américaines, disposant chacune de la puissance de plusieurs bombes nucléaires telle que celle lancée sur Hiroshima selon le journal économique allemand Handelsblatt, sont par exemple entreposées à Büchel, dans l’ouest de l’Allemagne. Elles sont même prêtes à être transportées par des avions allemands, révèle le magazine Der Spiegel. Or, « Donald Trump remet en question comme aucun président américain ne l’a fait jusqu’ici le parapluie nucléaire, défiant et déstabilisant ses partenaires », s’inquiète la ZDF. Et l’ombre de la menace nucléaire russe plane sur le Vieux Continent.
Les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale ont fait qu’encore aujourd’hui, une grande partie de la société allemande reste pacifique, note le Handelsblatt. « Mais le débat s’est transformé depuis l’attaque de la Russie sur l’Ukraine » et le retour au pouvoir de Donald Trump, poursuit le journal. Qu’adviendrait-il du Vieux Continent si les Etats-Unis, sous les ambitions isolationnistes de leur président, venaient à retirer leur arsenal ? C’est précisément la crainte des Allemands. « L’impensable doit-il être envisagé ? L’Allemagne a-t-elle besoin de la bombe ? » s’interrogeait en mars dernier Der Spiegel.
Un projet réaliste sur le plan technologique
Le premier obstacle à l’obtention par l’Allemagne de la bombe atomique est tout simplement… le droit international. L’Allemagne a signé plusieurs traités internationaux l’empêchant d’acquérir la bombe nucléaire, rappellent en premier lieu les médias allemands. D’abord le Traité de non-prolifération (TNP) de 1968, dont l’Allemagne est signataire et dont elle pourrait théoriquement se retirer. Elle devrait également renoncer à l’accord 2 + 4, signé à Moscou en 1990 dans le cadre de la réunification de l’Allemagne, dans lequel elle a renoncé à avoir ses propres armes nucléaires.
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Passée la question des traités internationaux, le Handelsblatt a enquêté sur la faisabilité technique et technologique de l’obtention par l’Allemagne de la bombe nucléaire. Le pays a mis à l’arrêt toutes ses centrales nucléaires électriques, qui pourraient s’intégrer dans les infrastructures de développement d’une arme nucléaire dite « moderne ». Leur réactivation serait coûteuse, note le journal. Mais l’Allemagne dispose des infrastructures et des compétences pour fabriquer une bombe conventionnelle. Par exemple, « peu de gens savent qu’à Gronau, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, se trouve l’une des plus grandes usines d’enrichissement d’uranium au monde », poursuit le Handelsblatt. L’entreprise Urenco, détenue par le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Allemagne, s’est engagée à n’enrichir de l’uranium qu’à des fins civiles. Techniquement, elle pourrait augmenter le degré d’enrichissement, affirment les experts interrogés par le journal. Mais les contrôles de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) mettraient vite au jour tout changement, même secret, dans le taux d’enrichissement.
Le pays dispose également de scientifiques et ingénieurs capables de rassembler les connaissances nécessaires à la fabrication d’une bombe, même si cela prendrait « un certain temps ». Sur le plan militaire en revanche, l’Allemagne pourrait manquer de compétences et d’infrastructures pour identifier les cibles et les menaces nucléaires, transporter les bombes et les stocker.
« Les conséquences internationales seraient dévastatrices »
Si la mise au point d’une arme nucléaire propre à l’Allemagne semble en théorie envisageable, « les conséquences internationales d’une telle décision seraient dévastatrices », assène le Handelsblatt. D’abord, parce que l’Allemagne serait obligée de rompre les accords l’empêchant de devenir une puissance nucléaire. Et puis, l’opposition aux armes nucléaires « est inscrite dans l’ADN de la République fédérale d’Allemagne » sur le plan diplomatique, note Der Spiegel. Un virage à 180 degrés entamerait donc fortement la crédibilité du pays sur la scène internationale. Cela pourrait aussi créer un précédent dangereux pour l’ordre mondial, menant à une course à l’armement nucléaire. L’Allemagne deviendrait par ailleurs une menace pour ses alliés, note le Handelsblatt.
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Au-delà des barrières politiques, la population allemande est de fait opposée à un tel projet, comme le révèle un sondage du quotidien Die Zeit. 72 % des Allemands se sont prononcés contre la détention de la bombe atomique par l’Allemagne. Une tranche d’âge, en revanche, se détache : 54 % des 18-24 ans sont pour. La population serait en revanche ouverte à une solution européenne, selon un autre sondage mené par Die Welt. 64 % des sondés pensent qu’un parapluie nucléaire européen de dissuasion, indépendant des Etats-Unis, serait une bonne chose.
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Une solution en ce sens a, à plusieurs reprises, été évoquée par le chancelier Friedrich Merz. Il n’était encore que candidat à la chancellerie lorsqu’il avait, en février dernier, évoqué son intention de discuter avec le Royaume-Uni et la France de l’extension de leur protection nucléaire à l’Allemagne, en complément du parapluie américain. Un débat qu’Emmanuel Macron a accepté d’ouvrir, en proposant un « dialogue stratégique » en Europe. Jens Spahn, député conservateur président du groupe de la CDU au Bundestag, est allé encore plus loin dans une interview pour Die Welt, proposant un débat sur un « parapluie nucléaire européen indépendant, sous leadership allemand ». Concrètement, le député a proposé de réfléchir à un réel projet européen, arguant que « la France ne laisserait pas [l’Allemagne] toucher au bouton rouge ». La piste européenne est en tout cas sérieuse. L’autre débat, celui de la possession par l’Allemagne de sa propre arme, a été clos d’emblée par Friedrich Merz au micro de la radio Deutschlandfunk en mars dernier : « L’Allemagne ne pourra ni ne devra jamais posséder elle-même des armes nucléaires. Et il en restera ainsi. »