Ici, Véronique a retrouvé son souffle. Victime de violences conjugales, la Marseillaise de 59 ans a sombré dans une dépression sévère. « Je ne sortais plus de chez moi, je voyais tout en noir », témoigne-t-elle, le regard grave. Six ans d’hôpital de jour et une rencontre qui change tout : le Clubhouse. Ouverte depuis septembre dans le quartier des Cinq-Avenues (4e), l’association, inspirée d’un modèle développé aux États-Unis, est un lieu d’entraide qui accueille celles et ceux qui vivent avec des troubles psychiques : bipolarité, schizophrénie, troubles borderline… Un espace non médicalisé où l’on parle plus de recettes de cuisine que de prescriptions médicales. Et, qui prend tout son sens l’été, quand les psychiatres sont en congés. « Tout le monde est bienveillant. On cuisine ensemble, on gère l’administratif de l’association, on organise des activités en extérieur », témoigne-t-elle d’une voix douce. Dans la cuisine, Véronique prépare le déjeuner au rythme saccadé des lames aiguisées, tandis que dans l’espace commun, l’heure est à la programmation des activités.
Le Clubhouse est un lieu de de vie accompagnant des personnes atteint d’un trouble psychique vers une réinsertion sociale et professionnelle. / Photo Nicolas VALLAURITrois heures d’activités par semaine et deux fois moins de risque d’être hospitalisé
Pas de blouse blanche, ni d’ordonnance. Karaoké, kayak, cuisine, musée… « L’idée, c’est que les membres retrouvent un rythme et une utilité sociale », insiste Philippine Clermontel, directrice du lieu. Créer du lien social, mais aussi prévenir les rechutes potentielles. « En moyenne, une personne qui vient une heure trois fois par semaine aura deux fois moins de risques d’être hospitalisée », souligne-t-elle. Depuis son ouverture, près de 300 personnes ont poussé les portes du Clubhouse. Aujourd’hui, 80 adhérents actifs font vivre la structure. Ouvert du lundi au vendredi, excepté le mercredi, le lieu propose des activités artistiques, sportives et des ateliers sur l’emploi pour trouver sa voie. Entre l’équithérapie et les cours de peinture, les adhérents sont accompagnés dans « l’écriture de leur CV, de leur lettre de motivation et dans la recherche de leur projet professionnel », rebondit Prudence Drochon, salariée. Toute l’année, les membres sont adressés par les hôpitaux publics, les cliniques privées et diverses structures de santé de Marseille. « Ce genre d’initiatives aide ces personnes dans leur rétablissement. Ça leur permet de garder du lien social, de reprendre un quotidien et de créer une communauté entre pairs », précise Yves Guillermain, psychiatre et responsable des urgences psychiatriques du CHU Édouard-Toulouse (15e).
Le Clubhouse est un lieu de de vie accompagnant des personnes atteint d’un trouble psychique vers une réinsertion sociale et professionnelle. / Photo Nicolas VALLAURI
« Ici, on ne parle pas de médicaments ni de psychiatrie », insiste Philippine Clermontel. Les soins, certains en parlent à voix basse autour d’un café, d’autres préfèrent éviter le sujet. Parfois, on s’échange les noms des bons psychiatres… Quand ils sont disponibles l’été. Car en période de vacances, c’est plus compliqué. En France, le 3114, numéro national de prévention du suicide, joignable 24h/24 et 7 jours sur 7, reçoit 1 600 appels chaque jour. L’été, les appels liés à une rupture de soins pendant la pause estivale sont plus nombreux. Mélanie*, psychologue qui répond au standard du 3114, le constate. « Cela concerne environ un tiers des appels. Des patients isolés après le départ de leur psychiatre en vacances », témoigne-t-elle. À Marseille, deux services d’urgences psychiatriques accueillent ces personnes en souffrance très souvent isolées : à l’hôpital de La Timone au Cap 48 et au CHU Édouard-Toulouse au Cap 72. Là-bas, dix-huit lits de crise tentent d’absorber les détresses aiguës. « En psychiatrie, on ne guérit pas, on accompagne sur le long cours. En été, on tente de garder ce lien malgré les congés et vacances de chacun », raconte Yves Guillermain.
Se faire hospitaliser « juste pour être suivie »
« On est tout le temps à flux tendu. Les congés favorisent la décompensation », s’alarme Sarah*, infirmière du Cap 72. Dans ces moments-là, le Clubhouse prend le relais. Pour Anissia, ça ne suffira pas. En rupture de suivi, c’est à sa propre demande que cette habitante de La Capelette (10e), diagnostiquée bipolaire et souffrant d’autres pathologies, sera hospitalisée dans quelques jours, dans une clinique psychiatrique de Marseille. « Je compte les jours », raconte-t-elle en agitant frénétiquement son genou sous la table.
Le Clubhouse est un lieu de de vie accompagnant des personnes atteint d’un trouble psychique vers une réinsertion sociale et professionnelle. / Photo Nicolas VALLAURI
Après plusieurs allers-retours à l’hôpital et un passé d’addict, la Marseillaise de 33 ans cherche encore son équilibre. « Pour ce qui est des soins psy, ce n’est pas gagné. Ma psy est en vacances pendant deux mois. C’est pour ça que j’ai demandé à être hospitalisée. Je veux juste être suivie. C’est très difficile l’été », déplore la jeune femme en cachant ses marques de scarification. En attendant, Anissa vient tous les jours au Clubhouse pour garder le moral. « Heureusement qu’il y a ce lieu. Ça me permet de rencontrer des gens, de sortir de chez moi tout simplement, de ne pas rester isolée et enfermée à la maison », témoigne-t-elle, pleine d’espoir.