Honda a déjà marqué au championnat des constructeurs environ le double de points qu’elle n’en a cumulés sur l’ensemble de la saison dernière. Si l’on prend l’ensemble de ses pilotes, la marque a engrangé 194 points alors qu’elle n’en comptait que 51 l’an dernier après le même nombre de Grands Prix. Tout cela n’étant pas uniquement dû à la victoire de Johann Zarco sous la pluie du Mans, ces chiffres traduisent une progression réelle du niveau de performance.
Néanmoins, des améliorations sont encore attendues par les pilotes, et ceux-ci n’ont pas peur de manifester leur impatience comme l’a fait le Français, le mieux classé du groupe, en expliquant être coincé « depuis trop de mois » avec un matériel qui stagne. Au moment de l’entrée dans la pause, à l’heure où chacun se retourne sur cinq premiers mois de compétition et en dresse le bilan, il y avait consensus pour dire que les problèmes identifiés de longue date sur la RC213V restent en effet inchangés aujourd’hui.
Lire aussi :
La course de Brno n’a pas aidé à faire pencher la balance vers le positif, le circuit ayant particulièrement mis à rude épreuve les pilotes du groupe. Alors que d’autres pistes et conditions climatiques ont permis de gommer ses défauts, la Honda a montré une certaine lenteur sur le circuit tchèque, due en partie à un grip arrière « inexistant » selon le constat fait par Luca Marini, avec tout ce que cela entraîne. Sans adhérence sur la roue arrière, la moto génère des vibrations en entrée de virage, ce qui complique la tâche des pilotes pour l’incliner, la faire tourner, puis générer la bonne motricité pour sortir du virage.
Luca Marini le décrivait déjà très bien en marge du GP d’Italie : « Le plus gros problème pour nous, c’est que quand on monte un pneu tendre neuf, on n’arrive pas à extraire le supplément de grip du pneu. On a toujours beaucoup de soucis avec le grip arrière, avec la roue arrière qui glisse, et ça ne nous aide pas faire tourner la moto et à la redresser, donc on est lents aussi à l’accélération. On y travaille. On connaît très bien le problème, c’est juste qu’il faut qu’on trouve des solutions. On essaye beaucoup de choses mais on n’a pas encore réussi à sortir de ce problème. »
La faible vitesse de pointe de la Honda n’aide pas à améliorer le tableau, et là aussi, les conclusions sont déjà tirées depuis longtemps. Au Mugello, l’analyse de Marini était très aboutie quant à la globalité du problème à résoudre. Il jugeait que le grip arrière comme « le domaine dans lequel [Honda] est le plus loin de tous les autres constructeurs » et ajoutait : « Bien sûr, on manque toujours de vitesse de pointe mais ça sera plus facile à trouver avec une meilleure aéro et surtout une meilleure performance moteur – on a un bon moteur mais il faut en extraire un peu plus de performance, on le sait. Pour ce qui est du grip arrière et de la manière dont on gère les gaz quand on accélère sur l’angle, c’est sans doute là que se situe la plupart du temps qu’on perd. »
L’exemple d’Aprilia et de KTM
Si la domination exercée par Ducati ne permet pas vraiment à Honda d’espérer rivaliser, il existe en revanche un entre-deux, que vise la marque japonaise. Logiquement, les pilotes se comparent à ceux des autres marques, et le constat n’est pas toujours indolore. « J’ai eu l’occasion de rouler face aux KTM de Binder et Pol Espargaró, et la différence est impressionnante », constatait par exemple Marini à Brno. « Quand on perd déjà une demi-seconde en ligne droite, la course se complique, c’est évident. »
Honda cherche à suivre la progression d’Aprilia et KTM pour s’extraire du peloton.
Photo de: Honda Racing
« Aprilia et KTM ont progressé et c’est bien pour le championnat. Je pense que l’on arrivera bientôt à leur niveau mais il faut que l’on attende certaines mises à jour sur la moto, dont on sait qu’elles vont arriver », soulignait le pilote italien, avec l’espoir que la lutte puisse s’intensifier dans la seconde partie du championnat. « Ils ont bien progressé, et on va en faire nous aussi. Je m’attends à ce que l’on soit nous aussi capables de se battre d’ici à la fin de l’année, non pas contre toutes les Ducati mais sûrement contre quelques-unes de plus. »
« C’est une période difficile mais je pense que lorsque des mises à jour seront là, on arrivera à très bien progresser. Quelque chose va arriver en Autriche », ajoutait Luca Marini en quittant Brno, tout en sachant déjà que cela ne pourra qu’être une étape : « Ça n’est pas suffisant, mais c’est quelque chose que j’ai essayé au test de Brno [avant le Grand Prix]. »
Honda avance à son rythme
Parfaitement réaliste sur le niveau affiché durant cette première moitié de championnat, Alberto Puig ne cache pas une certaine lenteur dans les avancées. Mais à un tel niveau de compétition et compte tenu du retard qu’a pris Honda depuis plusieurs années, stagner peut déjà être perçu comme une réussite.
« Je pense que pour le moment, ça va plus ou moins dans la direction que l’on attendait », observait le team manager espagnol début juillet. « Ce n’est pas fantastique mais on ne régresse pas. On comprend comment corriger les choses sur la moto. »
On n’avance pas super vite mais on va toujours de l’avant. On ne s’arrête pas avant d’arriver à destination.
« Ce qui est important, c’est de connaître les faiblesses de la machine et c’est le cas. Le problème est de lancer des nouveautés. C’est ce qui prend le plus de temps mais par rapport à il y a quelques années, quand nous étions un peu perdus. Je pense que l’on sait plus ou moins ce que l’on doit faire, et maintenant, c’est juste une question de temps pour vraiment trouver comment le faire. »
« Les concessions aident beaucoup et on essaie de faire des tests. On a un gros groupe de pilotes d’essais qui aident beaucoup. On suit ce système japonais typique : on n’avance pas super vite mais on va toujours de l’avant. On l’a compris et quand on l’a à l’esprit, on ne s’arrête pas avant d’arriver à destination. La seule chose que l’on peut faire est de continuer à aller de l’avant et attendre que ça arrive. »
Johann Zarco, ici devant l’Aprilia d’Ai Ogura.
Photo de: Team LCR
« Je n’ai pas dit que c’était un processus lent, j’ai dit qu’on allait à notre rythme », a poursuivi Alberto Puig. « On n’est pas où l’on le veut mais ça ne veut pas dire qu’on est arrêtés. On prend notre temps mais Honda est une entreprise qui, quand elle fixe un objectif, l’atteint normalement. »
La restructuration n’est pas encore terminée
Pour tenter d’atteindre ses objectifs, Honda s’est ouverte à des méthodes venues de l’extérieur, une évolution suffisamment rare pour porter en elle de très grandes attentes. Romano Albesiano incarne la quintessence de cette mutation, lui qui a quitté Aprilia pour prendre la tête du département technique de Honda, seulement il ne peut tout changer en un claquement de doigts.
« Romano est arrivé cette année. Ce n’est pas facile d’arriver dans une entreprise comme Honda et de changer les choses en cinq ou dix minutes », a tenu à rappeler Alberto Puig. « Il faudra du temps pour que ce soit prêt mais on fait beaucoup d’efforts, pas seulement au Japon mais aussi en Europe, pour créer un nouveau centre de développement, pour la dynamique du véhicule. On fait beaucoup de choses. »
« Romano ne sera pas seul et nous prévoyons même de recruter de nouvelles personnes. Je pense que c’est une combinaison des gens qui viennent chez Honda, [et de ceux] à l’usine principale et avec les ingénieurs principaux au Japon, pour avoir un changement. C’est le plan que nous avons à l’esprit. »
Lire aussi :
Du côté des pilotes, on a bien conscience également que tout ce processus requiert du temps, néanmoins Luca Marini perçoit dans la présence de Romano Albesiano la clé pour enfin accélérer les progrès. « Je pense qu’il a trouvé une très bonne connexion avec certains ingénieurs japonais, il travaille avec beaucoup d’entre eux pour essayer de bâtir une meilleure organisation et une réaction un peu plus rapide aux requêtes des pilotes, pour essayer d’être plus rapides et d’apporter de nouvelles pièces », constate l’Italien.
« Le chemin est encore long », concède Marini, « car on se rapproche sur certaines pistes mais on est encore trop loin sur d’autres. En particulier dans le time attack parce que si on arrivait à faire de meilleures qualifs, alors peut-être qu’on pourrait se battre pour une bonne position en course […] mais on part parfois de la 14e ou de la 16e place, et il est alors impossible de remonter avec le niveau qu’on a actuellement. » À l’impatience qui s’exprime parfois fait face la conscience que la situation ne s’inversera pas radicalement à court terme. « Je pense que ce n’est que le début de ce nouveau projet », résume le pilote italien, pragmatique.
Avec Vincent Lalanne-Sicaud
Dans cet article
Soyez le premier informé et souscrivez aux alertes mails pour recevoir les infos en temps réel
S’abonner aux alertes de news