Imaginez un
vaisseau spatial pas plus lourd qu’un trombone, propulsé par la
lumière pure, filant à travers le cosmos à des vitesses
vertigineuses pour sonder les secrets les plus profonds de
l’univers. Cette vision digne de science-fiction pourrait bien
devenir réalité d’ici quelques décennies. Cosimo Bambi,
astrophysicien spécialiste des trous noirs à l’Université Fudan,
vient de publier dans iScience un plan détaillé pour une mission
extraordinaire : envoyer une sonde vers un trou noir afin de tester
les limites mêmes de la physique.
Un voyage
aux confins de l’impossible
L’audace du projet de
Bambi réside dans sa simplicité conceptuelle et sa complexité
technique. L’idée consiste à exploiter la technologie des
nanovaisseaux, des sondes miniaturisées pesant à peine quelques
grammes et composées d’une micropuce sophistiquée fixée à une voile
ultra-légère. Ces engins révolutionnaires seraient propulsés non
pas par des carburants traditionnels, mais par des faisceaux laser
d’une puissance inouïe dirigés depuis la Terre.
Cette propulsion
photonique permettrait d’atteindre des vitesses phénoménales :
environ un tiers de la vitesse de la lumière. Pour mettre cette
performance en perspective, nos sondes spatiales actuelles les plus
rapides plafonnent à quelques dizaines de kilomètres par seconde,
soit moins de 0,01% de la vitesse de la lumière. Cette accélération
extraordinaire rendrait envisageable ce qui semblait jusqu’alors
impossible : un voyage interstellaire dans un délai raisonnable à
l’échelle humaine.
La quête
du trou noir voisin
Avant de partir à
l’aventure cosmique, encore faut-il trouver la destination. Bambi
estime qu’un trou noir pourrait se dissimuler à seulement 20 à 25
années-lumière de notre système solaire. Cette proximité relative
s’appuie sur les modèles actuels d’évolution stellaire qui
prédisent la formation de ces objets extrêmes lors de
l’effondrement d’étoiles massives.
Cependant, dénicher un
trou noir relève du défi de taille. Par définition, ces monstres
gravitationnels n’émettent aucune lumière et demeurent pratiquement
invisibles aux télescopes conventionnels. Les astronomes ne peuvent
les détecter qu’indirectement, en observant leur influence sur les
étoiles environnantes ou les distorsions qu’ils impriment à la
lumière qui les traverse.
Heureusement, de nouvelles
techniques de détection émergent régulièrement. Bambi se montre
optimiste : selon lui, la découverte d’un trou noir dans notre
voisinage galactique pourrait survenir d’ici une décennie.
Un
laboratoire naturel aux conditions extrêmes
Une fois la cible
identifiée, le voyage prendrait environ 70 ans à la vitesse d’un
tiers de celle de la lumière. Les données collectées mettraient
ensuite deux décennies supplémentaires à nous parvenir, portant la
durée totale de la mission à près d’un siècle. Un projet
transgénérationnel qui défie notre conception habituelle de la
recherche scientifique.
Mais l’enjeu en vaut la
chandelle. Les trous noirs représentent les laboratoires naturels
les plus extrêmes de l’univers, où la gravité atteint des
intensités inimaginables. Leur étude directe permettrait de
répondre à des questions fondamentales qui taraudent les physiciens
: l’horizon des événements existe-t-il réellement ? Les lois de la
physique restent-elles valables dans ces conditions limites ? La
théorie de la relativité générale
d’Einstein résiste-t-elle à l’épreuve des environnements les
plus hostiles du cosmos ?
Bien que cela représente un défi considérable, l’astrophysicien
Cosimo Bambi soutient qu’une mission interstellaire visant à
envoyer un minuscule vaisseau spatial vers le trou noir le plus
proche n’est pas hors de portée. Crédit : Event Horizon Telescope
CollaborationLes
obstacles technologiques et financiers
Bambi ne cache pas
l’ampleur des défis à relever. Actuellement, les lasers nécessaires
à la propulsion coûteraient approximativement mille milliards
d’euros. Quant à la technologie des nanovaisseaux capable de
survivre au voyage et de collecter des données pertinentes, elle
reste à inventer de toutes pièces.
Pourtant, l’astrophysicien
chinois garde confiance en l’ingéniosité humaine. Il rappelle que
de nombreuses prouesses jugées impossibles par le passé sont
devenues réalité : la détection des ondes gravitationnelles,
longtemps considérée comme inaccessible en raison de leur faiblesse
extrême, ou encore l’observation directe de l’ombre des trous
noirs, réalisée récemment par la collaboration Event Horizon
Telescope.
Dans 20 à 30 ans, estime
Bambi, les coûts pourraient chuter drastiquement tandis que les
technologies nécessaires atteindraient leur maturité. Cette mission
d’un siècle pourrait alors transformer notre compréhension de
l’univers et repousser une fois de plus les frontières de la
connaissance humaine.