Les flammes dansent, vivantes. Comme si elles léchaient les poulets qui rôtissent doucement. Eux, c’est sûr, ont bien chaud! Bien plus qu’Yves qui enfile ses impressionnants gants de protection.

Depuis toujours dans la restauration et quatre ans en tant que salarié de la Rôtisserie, avenue Gambetta à Nice, il n’est pas du genre à se plaindre.

Alors, le retour annoncé de la canicule en cette fin de semaine en France ne lui fait ni chaud ni froid. « Je ne souffre pas de la chaleur », indique-t-il en désignant le ventilateur de cou qu’il a récemment acheté. « Je l’utilise parfois, cela permet de sentir un peu d’air », précise le spécialiste de la broche en souriant: « Vous savez, les destinations que je préfère pour les vacances c’est l’Andalousie ou Miami, alors bon! »

« L’été dernier on sortait de l’atelier pour piquer une tête »

Et ça tombe bien pour notre pro du rôti: la Côte d’Azur va connaître les mêmes températures que la Floride ce week-end. Avec des soirées pouvant atteindre 31 degrés et des après-midi autour de 28 degrés selon Météo France.

Si les thermophiles savent apprécier, les croissants un peu moins. Eh oui, les viennoiseries sont loin d’affectionner ce type de climat. Chez Frédéric Roy, rue de France, les températures extrêmes ne font pas bon ménage avec la gourmandise.

« Le beurre fond à partir de 40 degrés, vous imaginez bien qu’on ne peut pas se permettre de travailler dans ses conditions », lance le boulanger qui se rappelle l’été dernier: « On allait piquer une tête dans la Méditerranée et on mangeait des glaces à l’eau au petit matin pour tenir le coup! »


Le boulanger Frédéric Roy a dû investir près de 10.000 euros dans son atelier pour une climatisation et un extracteur d’air. Dylan Meiffret / Nice Matin.

Entre les fours qui affichent 209 à 260 degrés, les moteurs des réfrigérateurs et la friteuse: l’ambiance se réchauffe très rapidement dans l’atelier où l’équipe de quatre artisans met la main à la pâte.

« Alors j’ai investi. Au total on est à près de 10.000 euros pour l’installation d’un climatiseur et d’un extracteur d’air », pointe le chef d’entreprise en levant la tête vers les deux appareils situés en hauteur.

Pas de quoi avoir envie d’enfiler une petite laine, mais juste assez pour bosser autour de « 27, 28 degrés ». Mais lorsque le mercure s’affole, des ajustements demeurent nécessaires. « Le pain est une matière organique, très sensible à l’hygrométrie. Pour qu’il reste croustillant et ne ramollisse pas une heure après cuisson, on programme le four moins chaud mais on le laisse à l’intérieur plus longtemps pour l’assécher. »

« Dans mon pressing, je fais plutôt mes machines le matin »

S’adapter à la réalité. Pour Francesca Pinelli, dans son pressing de la rue de l’Église à Cagnes-sur-Mer, ça tombe sous le sens. Avec ses 43 ans de métier – dont seize entre ces murs – elle agence son temps différemment: « Lorsque les fortes températures sont là, j’ouvre tôt et je commence par faire tourner toutes les machines. » Dans son petit espace, ce sont elles qui génèrent l’effet d’étuve. « Je laisse la porte ouverte. Et l’après-midi, plus rien ne tourne. Par contre, je mets la climatisation », désigne-t-elle en reprenant son fer pour repasser un short d’enfant.

Et la vapeur, ça ne lui donne pas des sueurs? « C’est une table à froid », sourit-elle en réalisant une démonstration: « La vapeur n’est pas renvoyée vers moi, regardez. » Et quand ce n’est pas le matériel qui offre une bouffée d’oxygène, c’est l’intérieur en lui-même.

Le feu de bois des pizzas et la vapeur des fers à repasser

Pour Zeina Nader, qui a repris le pressing La Lyonnaise, avenue Gambetta à Nice, depuis dix ans avec son époux, c’est le cas. « Ici, c’est un pressing depuis 1907. Quand vous entrez vous pensez qu’on a la clim’ n’est-ce pas? Eh bien ce n’est même pas le cas. » Effectivement, à l’intérieur de cette institution, un air frais circule… Et il est naturel!


Dans les pressings, la température monte rapidement avec les machines à laver. Dylan Meiffret / Nice Matin.

Un coup d’œil en se penchant derrière le convoyeur aérien et le mannequin de repassage: une cour intérieure! Une astuce architecturale qui soulage le couple. « J’ai bien sûr un petit ventilateur quand je repasse, mais on ne peut pas dire qu’on souffre. Tout ce que l’on souhaite c’est travailler, alors on est heureux qu’importe la température! »

Même discours du côté de Nono, qui œuvre dans la restauration depuis 1989. Il concocte les pizzas au feu de bois de La Trattoria, rue de France à Nice. Alors, quand on lui parle de la chaleur, il hausse un peu les épaules: « J’y suis habitué. » D’autant que les clients se déplacent notamment pour voir leur commande sortir du four, croustillante à souhait. « Lors de sa construction, le four était originellement tourné vers la salle. Aujourd’hui il donne vers l’extérieur. Donc avec la climatisation et la circulation de l’air les clients ne subissent pas l’effet du feu », ajoute le patron des lieux, Steve Emmanuelli.

Entre la broche de viande et le ventilateur

Et ce n’est pas parce qu’il fait chaud que les tables boudent Calzone, Reine et autres recettes italiennes. Devant l’âtre qui monte doucement en température pour le service de midi, Yaya ne cille pas. Il réalise sa mise en place derrière le comptoir de La Zagara, boulevard J.-F. Kennedy à Cagnes-sur-Mer. « Ça se passe très bien, même quand il fait chaud », rassure-t-il. La clé, « c’est aussi s’hydrater », rappelle-t-on aux Délices du Levant à Nice.

Le traiteur libanais propose des spécialités maison en terrasse mais aussi avec l’air conditionné à l’intérieur, histoire de séduire les clients en quête de frais.

À côté de sa broche de viande qui tourne bien au chaud, Kader, d’O’délices de l’Orient à Cagnes-sur-Mer, philosophe. Charlotte sur la tête et grand sourire, il n’a pas encore le ventilateur qui tourne à plein régime sur lui. « Et puis, il faut se dire qu’avec les touristes en moins cette année, on va un peu moins courir lors des gros services. » Voilà ce qu’on appelle voir le verre à moitié plein! n

Que dit le nouveau décret?

Tout beau, tout neuf. Depuis le 1er juillet de cette année (1), un nouveau plan de protection des travailleurs contre les risques liés à la chaleur est en vigueur. Ce que cela change? L’employeur voit ses obligations renforcées lorsque des épisodes de chaleur intense surviennent – on parle de vigilance jaune, orange ou rouge.

Ainsi, il est recommandé de privilégier, si cela est possible, une « utilisation de procédés de travail ne nécessitant pas d’exposition à la chaleur, ou une moindre exposition ». Mais aussi de modifier « l’aménagement et l’agencement des lieux et postes de travail » ou encore d’adapter l’organisation. Il s’agit notamment des horaires mais aussi de l’instauration de période de repos. L’installation de ventilateurs, pare-soleil et autres brumisateurs est recommandée. Tout comme le « choix d’équipements de travail appropriés permettant de maintenir une température corporelle stable » en lien avec la protection individuelle.

Sans eau potable, au moins trois litres d’eau par personne

Et, mesure de bon sens, l’eau potable doit être mise à disposition des équipes avec un « moyen pour maintenir au frais l’eau destinée à la boisson à proximité des postes de travail » – en l’absence d’eau courante, « l’employeur doit assurer la mise à disposition d’au moins trois litres d’eau par jour par travailleur ». n

1. Le décret du 27 mai 2005.