FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour réindustrialiser son pays et maintenir la suprématie américaine dans le domaine de l’IA, Donald Trump entend multiplier les projets énergétiques. Une stratégie face à laquelle l’Union européenne serait bien avisée de réagir rapidement, estime Pascal-Emmanuel Gobry.

Pascal-Emmanuel Gobry est le fondateur de PolicySphere, une lettre d’information spécialisée sur la politique américaine.

Alors que l’Union européenne vient de signer un accord avec Washington qui l’engage à acheter de grandes quantités d’énergie américaine, Donald Trump accélère une révolution énergétique qui pourrait redistribuer les cartes géopolitiques. Cette initiative, passée sous les radars européens, est un pilier central de la stratégie du président américain, et risque de creuser davantage l’écart de compétitivité transatlantique si l’UE ne réagit pas rapidement.


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Pourquoi ? D’abord parce que qui dit énergie dit croissance. Mais surtout, en deux mots : réindustrialisation et IA. Réindustrialisation car, après le coût du travail, celui de l’énergie est le poste de dépense le plus important pour les industriels. Ainsi, la stratégie de réindustrialisation de Trump s’appuie sur une baisse des coûts de l’énergie, au même titre que celle des tarifs. IA parce que les États-Unis veulent maintenir à tout prix leur leadership dans cette nouvelle technologie, notamment face à la Chine, et que les data centers qui permettent de créer cette IA sont très énergivores.

Les ambitions sont démesurées, les moyens aussi. Mais c’est aussi de la politique. La nouvelle loi « One Big Beautiful Bill Act », pièce maîtresse du programme de Trump, inclut la possibilité pour les entreprises de déduire le coût complet d’un investissement industriel la première année, y compris en énergie, dans l’objectif de favoriser l’investissement, ainsi qu’une vague de subventions pour de nombreuses formes d’énergie, y compris le stockage par batterie, le nucléaire, l’hydroélectrique, et le géothermique.

Et surtout, le cœur de l’agenda trumpien tourne autour d’une obscure loi, NEPA (National Environmental Policy Act). Loin des clichés d’une Amérique ultralibérale, cette loi écologique passée en 1970, depuis alourdie de nombreux ajouts réglementaires et jurisprudentiels, encadre la création de tout nouveau projet énergétique. Jusqu’à présent, la loi NEPA imposait plusieurs années de bureaucratie pour la création de tout projet énergétique aux États-Unis.

Et Trump a annoncé son intention de détruire la loi NEPA. Il y arrivera sans doute. L’attaque est menée sur plusieurs fronts. Législatif, d’abord. Les négociations sur une réforme profonde de la loi NEPA sont actuellement en cours et aboutiront probablement, car les républicains sont unanimes sur le sujet et un certain nombre de démocrates modérés sont d’accord. Réglementaire ensuite : contrairement à sa première administration où Donald Trump, néophyte à Washington, ne savait pas quels personnels placer où et quels leviers actionner, il a placé des réformateurs ambitieux à tous les postes clés, notamment le Council on Environmental Quality (CEQ), chargé de l’application de la loi NEPA, qui a tout simplement abrogé toutes ses réglementations et distribué des instructions aux départements du gouvernement fédéral pour l’appliquer de manière « accélérée et simplifiée ».

Là où l’Europe s’enlise dans un écologisme de décroissance qui confond vertu morale et efficacité, Trump mobilise l’énergie au service d’ambitions géopolitiques et technologiques majeures

Cet effort est placé sous la houlette de Russell Vought, directeur du Budget, rôle très puissant dans toute administration, mais particulièrement dans celle-ci, car Vought est très chevronné et Trump lui a donné carte blanche. Un premier décret a été publié, et toutes les agences sont d’ores et déjà chargées de transformer leurs procédures. Judiciaire, enfin : une première décision de la Cour suprême en mai a affaibli la loi NEPA, et les signaux de la majorité conservatrice de la Cour sont au vert pour ce qui concerne les décisions à venir.


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Le nucléaire n’est pas en reste non plus, avec l’objectif très ambitieux de quadrupler la production nucléaire américaine d’ici 2050. Là aussi des barrières réglementaires sont baissées, et le Département de l’Énergie offrira des prêts et garanties de prêts aux projets nucléaires, mais surtout, le gouvernement mise beaucoup sur la nouvelle génération de technologies, y compris les petits réacteurs, microréacteurs, et réacteurs modulaires, sur lesquels la France est très en retard.

Le résultat ? Une ruée vers l’or annoncée. Le nombre de projets énergétiques lancés aux États-Unis va très certainement augmenter de manière significative : forage, exploitation, pipelines, nouvelles centrales de tous types, solaire, et ainsi de suite. Une explosion de la production énergétique qui pourrait mener à une explosion de la croissance, qui en dépend.

La baisse prévisible des coûts énergétiques outre-Atlantique renforcera l’attractivité industrielle américaine au détriment du Vieux Continent, déjà handicapé par un euro plus fort, une fiscalité plus pesante et des réglementations plus tatillonnes. Elle pourrait également accroître la dépendance géopolitique de l’Europe, si elle permet aux États-Unis de creuser encore plus leur avantage dans le domaine de l’IA, et d’autres domaines industriels clés qui demandent de l’énergie, tels la chimie et les métaux.

Le contraste avec le Green Deal européen est saisissant. Là où l’Europe s’enlise dans un écologisme de décroissance qui confond vertu morale et efficacité, Trump mobilise l’énergie au service d’ambitions géopolitiques et technologiques (dominer l’IA, réindustrialiser, défier la Chine) majeures. Face à ce nouveau défi, la France et l’Europe devront vite choisir entre le déclin et l’ambition.