Une auto-école de Dreux, en Eure-et-Loir, interdit les signes religieux ostentatoires à ses stagiaires. Et donc aux femmes musulmanes de porter le foulard. Une étudiante a porté l’affaire devant la Défenseure des Droits, rapporte une enquête de Médiapart. Mais que dit la loi ?

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L’enseigne présente, en ligne, son meilleur profil. Avec 88% d’avis favorables sur Facebook, et une note de 4,5/5 sur Google, le Centre de formation Blanchard semble bien sous tous rapports. Tout juste l’auto-école située à Dreux, en Eure-et-Loir, se fait-elle occasionnellement qualifier de « pompe à fric ». La routine pour une enseigne sur les réseaux sociaux.

Mais quelques témoignages se dégagent. Comme cette très brève élève qui partage, sur Facebook en 2020, son « expérience avec ce centre, qui est vraiment triste ». Après avoir pris rendez-vous pour une heure d’évaluation avec un moniteur, « ils ne m’ont pas accepté à cause d’un signe religieux extérieur sur la tête », écrit-elle.

Sur Google, un internaute rapporte que le centre « demande aux femmes qui portent le voile de l’enlever, selon le règlement imposé par la direction ». « L’être humain a le sang rouge peu importe ses convictions… nous espérons que la direction rencontrera des gens qui lui feront changer d’avis », conclut-il.

Le cas de cette auto-école est le sujet d’une vidéo-enquête publiée par Médiapart (réservé aux abonnés) le 1er août. Le média en ligne y rapporte le témoignage d’Aïssata, étudiante en communication, interdite de cours au sein du Centre de formation Blanchard car n’ayant pas voulu retirer son foulard. Un cas que la jeune femme a décidé de porter devant la Défenseure des Droits.

À en croire le règlement intérieur, disponible sur internet, les stagiaires « de toutes nationalités, religions et idées » sont acceptés au centre de formation drouais. En revanche, « le port de tout signe distinctif ou vêtement d’ordre religieux ou politique est proscrit à l’intérieur du Centre ». Une mesure justifiée, dans le texte, par un besoin de « conserver une neutralité nécessaire au bon fonctionnement » de l’auto-école.

En réponse à plusieurs commentaires en ligne, le Centre de formation Blanchard a donné d’évasifs éléments de contexte, tentant de motiver l’existence de cette clause dans son règlement. « Cet article […] a été décidé suite à des incidents et des tensions », écrit le compte du centre, sans plus de détails. « Nous appliquons le principe de neutralité religion et politique au même titre que l’État pour ses écoles, poursuit-il. En aucun cas il n’est discriminatoire car nous ne ciblons aucune religion ni parti politique en particulier. »

Alors cette interdiction constitue-t-elle une discrimination ? Pour Lauren Bakir, docteure en droit public, chercheuse au CNRS et spécialiste des droits des libertés et de la laïcité, un commerce « n’a pas le droit d’interdire à ses clients de porter des signes religieux : le principe de la laïcité, c’est la liberté ». Si bien que, selon elle, « l’auto-école doit préciser la justification d’une telle restriction de liberté, ce qui semblerait assez fragile juridiquement ».

Quant au principe de neutralité religieuse, il « ne s’applique qu’à l’État, pas aux personnes privées », explique-t-elle. Ainsi, « les agents du service public ne peuvent pas exprimer leurs convictions religieuses, mais ça n’est pas expansif au-delà de ça, à l’exception des écoles », où les signes religieux sont interdits pour les élèves.

En novembre 2019, la gérante d’une auto-école du Loiret avait été condamnée pour avoir interdit le port de tout « couvre-chef » durant les leçons. Ce que le tribunal avait interprété comme une discrimination visant en particulier les femmes voilées. « Dans ce règlement intérieur, ce n’est pas la nonne en cornette que l’on cible, mais les femmes qui portent le foulard islamique. C’est le signe d’une pratique religieuse et c’est autorisé, point », avait alors insisté le procureur d’Orléans, Nicolas Bessone, cité par La République du Centre.

Le procureur discernait là une discrimination contre les femmes musulmanes en particulier. Au Centre de formation Blanchard, l’injonction concerne toutes les religions. Dans ce cas, l’interdiction du port du voile qui en découle « peut être une discrimination indirecte, mais c’est une notion assez technique », selon Lauren Bakir. Et donc difficilement démontrable.

Contacté, le Groupe Blanchard a adressé un bref mail à France 3, signé de son président, Romain Blanchard. Il assure ne pratiquer « aucune discrimination de quelque sorte que ce soit » et qualifie de « fallacieuse, voire diffamatoire » la présentation « des faits telle que réalisée par Médiapart ». Il explique ne vouloir, « à ce stade, accorder d’entretien à un quelconque autre média », et se réserve le droit d’exercer son droit de réponse dans le futur.