Par

Christian Bouzols

Publié le

8 août 2025 à 18h00

Derrière ce visage, il y a d’abord une voix. Celle de Christophe Hardy, fringant sexagénaire qui vient d’éteindre définitivement son micro après 43 années de radio à Saint-Malo.
De Radio Force 7 à RFM, il a tout connu de la grande aventure de la bande FM, de la radio pirate de ses débuts à la grosse machine du groupe Lagardère, dont il a quitté les studios du boulevard des Talards au début du mois d’août 2025 pour profiter d’une retraite bien méritée. Il nous raconte sa folle épopée sur les ondes. 

Une rencontre qui lui ouvre le chemin de la radio

Ce Servannais pure souche, « né avant la réunification de Saint-Malo », a arrêté l’école très tôt mais a eu la chance de faire une rencontre qui à l’aube de ses 20  ans, va changer sa vie. « C’était le frère de ma petite amie de l’époque, qui écrivait une thèse sur l’évolution de la radio en Europe », se souvient Christophe. « Il était persuadé que le paysage de la radio allait profondément changer en France et qu’il y aurait des choses à faire ».

C’était en 1979. Deux ans plus tard, François Mitterrand arrivait au pouvoir et en 1982, il ouvrait la bande FM aux radios libres. Il n’en fallait pas plus pour que Christophe et son ami Yannick s’engouffrent dans la brèche pour créer à Saint-Malo une radio pirate bricolée dans un appartement de la rue Ville-Pépin.

On a monté une antenne sur le toit, acheté un émetteur, on s’est installé sur une fréquence et c’était parti.

Chistophe Hardy

Deux platines pour passer des disques
Christophe Hardy dans son studio de la rue Ville-Pépin en 1982, au lancement de la première radio pirate de Saint-Malo.
Christophe Hardy dans son studio de la rue Ville-Pépin en 1982, au lancement de la première radio pirate de Saint-Malo. ©Christophe Hardy

L’idée de départ est basique : passer des disques que l’on récupère à la maison dans sa collection personnelle. Avec pour tout matériel, deux platines vinyle, une petite table de mixage et un micro. Tout se fait alors manuellement. Il faut se relayer derrière le tourne-disque pour occuper l’antenne de ce qui s’appelle initialement La radio libre et indépendante de la côte d’Emeraude.

Les deux compères essaient de se faire connaître à Saint-Malo en distribuant des flyers devant les lycées.

Ils ne gagnent pas un sou mais leur enthousiasme est contagieux. « Au bout d’un an, on était une équipe de 80 bénévoles, façon auberge espagnole. On se répartissait les créneaux et chacun venait avec ses disques ».

La mayonnaise de la première radio pirate de Saint-Malo commence à prendre, mais l’émetteur brouille les télés du quartier. « Il fallait qu’on déménage, sinon on allait finir par se faire lyncher », rigole Christophe.

Un studio dans un château d’eau

La troupe décide donc de monter un nouveau pylône en haut d’un château d’eau à la Croix Désilles, dans le quartier de Paramé.

Pendant 15 jours, on avait même notre petit studio à l’intérieur du château. On nous avait laissé les clés !

La radio s’installe ensuite juste à côté, dans une baraque de chantier, où elle va rester pendant 4 ans… Mais dès la fin de l’année 1982, sur la base d’un simple formulaire, la radio pirate devient officiellement une radio libre avec une autorisation d’émettre envoyée par Paris.

Un décollage avec la Route du Rhum

C’est la naissance de Radio Force 7, qui va vraiment décoller en animant des émissions en direct depuis un café d’Intra-Muros pendant la Route du Rhum. « Ensuite, on a commencé à structurer l’antenne avec des thématiques tous les soirs, allant du rock au jazz. Et le dimanche matin, c’était accordéon, musique rétro et musique classique ! ».

La palette est large mais c’est avant tout la musique actuelle qui passionne les animateurs. D’autant qu’à Rennes, la scène rock est en pleine effervescence. Elie et Jacno, Etienne Daho et bien d’autres défilent dans la baraque de chantier de Paramé, avant que la radio ne se professionnalise en 1987.

Des investissements et des difficultés

Christophe et Yannick s’installent dans des locaux Bd de la République, troquent le statut d’association 1901 pour monter une entreprise. « On a récupéré des fréquences à Granville, Saint-Lô, Dinan, Saint-Brieuc. On a embauché et beaucoup investi pour se développer », se souvient Christophe.

Radio Force 7 a pignon sur rue mais les difficultés commencent car les recettes ont du mal à rentrer. Et pour sauver la radio, ce sont deux univers radicalement opposés qui vont finalement se rencontrer : Christophe Hardy d’un côté, le bohème de la bande FM, et le géant de l’agro-alimentaire malouin, le groupe Roullier, réunis par Jean-Luc Favre, un haut dirigeant de l’entreprise qui aime les chemins de traverse.

Du groupe Roullier à RFM

C’est ce dernier qui pour pérenniser la radio locale à Saint-Malo, décidera de la revendre en 1998 à la grande station nationale RFM. Christophe Hardy reste dans l’aventure dans un univers qui change de dimension. On est désormais loin des vinyles passés à la main dans un studio de fortune. « On m’a donné un matériel que je n’aurais jamais pu m’offrir ».

Mais le métier change. C’est depuis Paris que la programmation est décidée. Un journaliste anime la tranche locale entre 6h et 9h et Christophe prend le relais pour un programme long de 12h à 16h. Toujours derrière le micro mais avec moins de marge de manœuvre, dans un univers médiatique qui enchaîne les difficultés.

Au fil des ans, toutes les antennes locales RFM de Bretagne ont fermé les unes après les autres. En 2025, il n’en reste plus qu’une : celle de Saint-Malo. Avec aux manettes, le dernier des Mohicans des radios libres de la cité corsaire, qui vient de rendre les clés de la boutique.

Sera-t-il remplacé derrière le micro ? Il n’en sait rien mais ne semble guère optimiste… Après nous avoir raconté sa belle aventure, Christophe a fermé une dernière fois la porte du studio, avec un petit cactus sous le bras. Dernier souvenir de 43 ans de radio.

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