Par

Anthony Bonnet

Publié le

9 août 2025 à 7h00

Une sirène de pompiers sonnant en continu. Ce bruit infernal a surgi dans la tête de Tristan Vyskoc un jour de mai 2011. Et a bouleversé sa vie. « Je ne pouvais plus me concentrer. J’étais au bord du vide. Je travaillais dans le monde de la finance, et j’ai dû vendre l’entreprise que je venais de créer », raconte celui qui est accueilli en cet été 2025 à la Dame Blanche, la galerie d’art située à Serquigny (Eure).

« J’étais en lévitation » 

À l’époque, même si elle l’attirait, la peinture se résumait à un passe-temps le week-end pour lui permettre de se sortir l’esprit des marchés boursiers, lui qui avait suivi une dizaine de cours du soir à l’École des Beaux-Arts.

Son remède, afin d’interrompre l’acouphène, il le trouve dans le sport. « C’est en courant que le bruit s’arrêtait. Je me suis mis à beaucoup courir et la course m’a littéralement sauvé », dit-il.

L’essai tenté à l’ultra-trail organisé sur l’île de la Réunion, dont il est originaire, l’incite à s’inscrire à celui du Mont-Blanc en septembre 2015. Une épreuve exigeante, souvent considérée comme la plus prestigieuse au monde par les participants. Tristan Vyskoc n’en est pas sorti indemne.

Mes reins se sont arrêtés, j’ai dû être transféré en urgence absolue à Paris.

Tristan Vyskoc

Des pronostics sombres sont établis, une dialyse à vie est évoquée. Allongé sur son lit d’hôpital, il va alors connaître une expérience de mort imminente : « Je suis sorti de mon corps, j’étais en lévitation ».

Ce moment, dont les mécanismes cérébraux intéressent les chercheurs, il lui est difficile d’en déterminer la durée. Il ne le décrit pas comme un tunnel, mais plutôt comme une « bulle apaisante », « des nuages ».

Peindre en écriture automatique

Revenu à lui, sans séquelles autres que la perte du goût et de l’odorat, Tristan Vyskoc part se reposer à l’île de Ré. Il ne se doute pas qu’en Charente-Maritime d’autres instants inattendus vont s’imposer à lui.

J’ai éprouvé le besoin de peindre et de dessiner, en écriture automatique. Le geste venait tout seul. C’était presque comme une transe.

Tristan Vyskoc

Pendant ces journées bercées par l’air iodé, le professionnel de la finance esquisse, efface, recommence… Il peint sans s’arrêter, jusqu’à l’épuisement, et combat son acouphène, lequel se terre momentanément.

« Comme je suis cartésien, j’ai eu besoin de comprendre ce qu’il m’arrivait », poursuit Tristan Vyskoc, qui découvre, au gré de ses recherches, un article consacré au syndrome du « savant acquis ».

Des personnes se mettent à développer des facultés scientifiques ou artistiques exceptionnelles après un traumatisme grave. Tristan Vyskoc a-t-il été concerné par ce phénomène extrêmement rare ? Aucune certitude. « C’est une hypothèse », signale-t-il.

Toujours est-il qu’il est persuadé d’avoir « récupéré un don », celui de son grand-père, René-Marie Castaing, grand-prix de Rome en 1924. « J’avais un don en moi et c’est sorti à ce moment-là. Quelque chose s’est passé. »

« Je peins pour raconter une histoire »

L’autodidacte plonge dans ce nouveau monde, et de façon beaucoup plus limpide que ses débuts chaotiques dans la peinture. Des souvenirs d’enfance s’expriment avec aisance sur ses toiles en noir et blanc, conçues à l’encre de Chine.

Au bout de deux ans, il participe à une première exposition, en 2017 à Paris. Puis à d’autres au fil des années, à Lille, Chamonix, Venise…

Devenu professionnel, le peintre réalise une grande fresque sur les montagnes, seize vues du Mont-Blanc gravées au plus profond de lui, sur ces sommets où tout a failli s’arrêter.

« Ce n’est pas un panorama, c’est une carte mentale. Les images encore prégnantes d’un tracé qui m’a mené près de la ligne rouge », illustre-t-il.

Tristan Vyskoc
Sous les profondeurs, une œuvre de deux mètres de hauteur et autant de largeur. ©Eveil Normand / AB

Une autre série est un hommage aux forêts primaires de la Réunion, l’île où il est né. Fils d’un dirigeant d’entreprise et d’une cheffe de cabine chez Air France, il a vécu en outre-mer jusqu’à l’âge de 13 ans.

Un univers où il se sent bien, comme tous ceux qu’il peint. Le bleu presque hypnotique des montagnes précédemment évoquées laisse place ici au vert des immensités végétales où il aime se perdre.

La vue se trouble, il n’y a plus de repères. Ressourçante, apaisante, la forêt peut aussi être mystérieuse, angoissante. La forêt est une source de reconnexion permanente à notre moi profond, à notre élan vital. 

Tristan Vyskoc

Tristan Vyskoc peint « pour raconter une histoire ». Il travaille sur une nouvelle série dédiée au monde de la mer, aux profondeurs, « tout ce que nous n’avons pas encore découvert ».

L’intérêt pour l’intelligence artificielle 

À l’instar des paysages de montagnes ou de forêts, la prise de conscience du changement climatique lui sert de guide.

« Plus on regarde la nature, plus on la respecte. Et si nous regardions la beauté du monde, nous serions moins tentés de le détruire », pense-t-il, lui qui est aussi très curieux d’étudier les évolutions technologiques, une autre réalité à laquelle on ne peut pas échapper.

C’est bien d’utiliser les nouvelles sciences pour essayer de s’en servir pour la création. Je trouve important de s’y intéresser. Dans mes œuvres, il y a aussi la place de l’homme par rapport à cela.

Tristan Vyskoc

Le peintre confie avoir recours à l’intelligence artificielle. « Je demande à ChatGPT :  »peux-tu me faire une grotte sous-marine avec de la lumière ? » Et le résultat est assez bluffant. »

Séances de coaching

Son parcours atypique, Tristan Vyskoc le partage à travers des conférences et des séances de coaching, dans le monde entrepreneurial auprès de managers, comme dans celui de la culture aux côtés d’un chef d’orchestre.

Des gens m’ont demandé de les accompagner et je me suis formé. Je les aide à aller chercher le meilleur d’eux-mêmes. On voit qu’il y a une vraie souffrance pour s’adapter à un monde mouvant. Quand cet acouphène est apparu dans ma vie, je me suis demandé comment vivre avec. 

Tristan Vyskoc

Ce bruit insupportable n’a pas disparu. Entre son atelier à Paris, dans l’avenue de la Grande-Armée, et le Calvados, où il possède une résidence près de Blangy-le-Château, l’artiste de 54 ans s’est « adapté » et a fait preuve de résilience.

La Normandie lui plaît énormément, il compte y passer de plus en plus de temps. « Les ciels, les lumières sont très inspirants », conclut Tristan Vyskoc avec la certitude que cette atmosphère apaisante lui permettra d’élargir sa palette.

Le site internet de Tristan Vyskoc
Exposition jusqu’au 23 août. Ouverture tous les samedis et dimanches de 14 h à 18 h.
Centre d’art La Dame Blanche, 8C Hameau de Courcelles, 27 470 Serquigny
La Dame Blanche a le plaisir d’inviter le public à la rencontre de Tristan Vyskoc, Jean-Marie Torque et Thierry Dhuisme dimanche 10 août à 13 h, autour d’un cocktail, pour partager un beau moment d’échanges et saisir l’occasion d’acquérir une œuvre.

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