La première moitié de l’année MotoGP a été tout autant marquée par le retour d’une domination made in Marc Márquez que par l’affaire Jorge Martín qui s’est écrite en grande partie hors piste. Le champion du monde en titre n’a pas souvent été présent sur les circuits en 2025, pourtant il a fait parler de lui au moins autant que les pilotes qui ont animé les avant-postes des courses.
Le conflit qui l’a opposé à son constructeur a défrayé la chronique pendant plusieurs semaines, et puis soudain, lorsqu’il a fait son retour à la compétition, mi-juillet, le dossier était clos. Vous n’avez pas tout compris aux divers rebondissements et jusqu’à cet ultime retournement de situation ? Alors revenons sur cet étrange feuilleton extra-sportif.
Pour en comprendre les origines, il faut remonter au samedi du Grand Prix d’Italie 2024, au mois de juin de l’année dernière. Ce jour-là, Alberto Valera, manager de Jorge Martín, réalise que Ducati ne respectera pas l’accord verbal conclu quelques jours plus tôt pour promouvoir le pilote espagnol au sein de son équipe d’usine. Le constructeur de Borgo Panigale lui préfère finalement Marc Márquez, qui refuse de courir dans une autre formation que le team officiel et que les dirigeants de Ducati ne veulent pas perdre.
Lire aussi :
Jorge Martín est informé le dimanche soir qu’il est passé du statut de sélectionné à celui de rejeté. En tant que leader du championnat et déjà multiple vainqueur, lui non plus ne veut plus courir pour Pramac Racing. Lui fermer les portes de l’équipe officielle revient donc à l’envoyer à la concurrence.
Face à cette déception, Valera tend la main à Honda, qui a déjà manifesté son intérêt pour Martín quelques semaines auparavant et réaffirme alors sa volonté de le recruter. Mais au même moment, Aleix Espargaró – leader d’Aprilia et ami proche de Martín – entre en scène en parlant à Massimo Rivola et en l’encourageant à faire une offre rapidement.
Il suffit alors d’une nuit pour que les juristes mobilisés par le PDG d’Aprilia Racing rédigent un contrat, finalement signé dès le lundi matin. Valera a informé Martín de l’offre de Honda, nettement plus lucrative, néanmoins le pilote estime que la moto japonaise n’est pas à la hauteur de la RS-GP. Par précaution toutefois, Martín fait ajouter une clause au contrat lui offrant, en théorie, une porte de sortie pour 2026. L’activation de cette clause semble simple : si, après les six premières courses de la saison, il ne figure pas parmi les cinq premiers du championnat, il sera libre de signer avec Honda – et seulement avec Honda.
La saison se poursuit, Jorge Martín devient champion du monde et, au surlendemain de son sacre, Aprilia l’accueille pour une première journée de piste dans le cadre du traditionnel test qui suit le dernier Grand Prix. Pendant que Marc Márquez roule en rouge, le Madrilène découvre son nouvel univers de travail et devient à son tour pilote d’usine.
Jorge Martín a endossé son rôle de pilote Aprilia le 19 novembre, avec son premier test.
Photo de : Gold and Goose Photography / LAT Images / via Getty Images
Son véritable travail d’adaptation à la RS-GP doit toutefois attendre février, une fois les esprits reposés et la moto préparée dans sa version 2025. Seulement, le mariage entre le pilote et la machine se grippe très vite. Martín ne boucle qu’une poignée de tours lors du premier test d’avant-saison, à Sepang. Il subit deux chutes, dont une particulièrement violente qui l’envoie à l’hôpital avec plusieurs fractures.
À la fin du mois de février, alors qu’il a encore espoir d’être au départ du premier Grand Prix bien qu’il ait manqué les essais d’avant-saison, il se blesse à nouveau lors d’un entraînement, et le voici écarté pour trois courses. Il lance enfin son championnat au Qatar, où se joue le quatrième Grand Prix de l’année, mais sans être complètement remis ni satisfait par la moto, qu’il connaît à peine. Son week-end se termine par une nouvelle chute dans laquelle il est involontairement percuté par un autre pilote. Bilan : des blessures multiples, douloureuses et un temps inquiétantes, qui lui font endurer une semaine cauchemardesque à l’hôpital à Doha.
Le champion en titre souffre, physiquement et moralement. Sa saison est d’ores et déjà totalement gâchée et il gamberge sur ce que sera son avenir de pilote. Ses adversaires avancent dans leur championnat alors que lui est convalescent, dans l’impossibilité de s’entraîner pendant un mois et demi.
Mais Jorge Martín et son manager n’ont pas oublié la clause ajoutée au contrat.
Une semaine avant la date limite pour son activation, qui coïncide avec le GP de France, Aprilia informe Martín qu’elle considère cette clause comme invalide puisque sa blessure l’a empêché de participer à plus d’un Grand Prix jusque-là. L’Espagnol se rend alors secrètement au Mans pour notifier à Aprilia qu’il active malgré tout la clause. Il rencontre également Carmelo Ezpeleta, mais celui-ci fait savoir qu’il n’acceptera pas cette décision et que Martín devra s’en tenir au contrat de deux ans qu’il a signé.
Toutes les parties concernées tentent de garder le différend confidentiel, jusqu’à ce qu’il soit révélé par Motorsport.com. Les tensions entre Martín et Aprilia montent alors en flèche, et l’on entre dans une autre phase de cette affaire.
Aprilia inflexible face au manager de Martín
Dix jours après Le Mans, juste avant le GP de Grande-Bretagne, Aprilia rompt le silence avec une brève déclaration sous forme de mise en garde : « Aprilia Racing dément l’existence de négociations entre les parties pour modifier la durée du contrat, qui reste telle qu’initialement convenue, et ne commente pas les questions qui ne la concernent pas directement, mais s’attend à ce que les autres équipes ne fassent d’offres d’aucune sorte à des pilotes qui sont sous contrat : un tel comportement serait du reste illégitime. »
Le message s’adresse clairement à Honda, que Massimo Rivola a déjà prévenu en privé au Mans. Le PDG d’Aprilia Racing a alors basculé dans la défense féroce des intérêts de son employeur et il ne va dès lors jamais fléchir.
Jorge Martín n’est pas là lorsqu’Aprilia remporte sa première victoire de la saison, à Silverstone.
Photo de : Aprilia Racing
Hasard du calendrier, c’est seulement trois jours plus tard qu’Aprilia remporte sa première victoire de la saison, portée par Marco Bezzecchi. L’occasion de braquer les projecteurs sur l’équipe pour ses performances sportives et donc pour Massimo Rivola de souligner la qualité des progrès accomplis. Mais dans la foulée, lorsqu’il prend finalement la parole publiquement, Jorge Martín réitère sa conviction de pouvoir toujours faire jouer la clause contractuelle négociée l’an dernier et qui, selon lui, reste valable malgré ses absences.
Un mois plus tard, à Assen, se sentant acculé, Albert Valera tente de transmettre indirectement un message à Honda. Lors d’une retransmission en direct du MotoGP, l’agent insiste : « L’activation de la clause signifie que Jorge est libre de signer avec qui il veut pour 2026. […] Honda est évidemment une alternative. »
Ce qui ressemble alors à un coup de poker va toutefois précipiter la fin de l’affaire, car cette déclaration retentissante déclenche la réponse de Carmelo Ezpeleta, décisive. Le PDG de Dorna Sports appuie publiquement la position d’Aprilia et son refus de négocier une quelconque sortie du pilote, et il menace même de ne pas accepter l’inscription du champion du monde 2024 si aucune résolution acceptable n’est trouvée entre les deux parties.
« La Dorna, la MSMA et l’IRTA n’accepteront pas l’inscription au championnat du monde d’un pilote n’étant pas considéré comme libre par un juge ou après un accord entre les parties impliquées », déclare le grand patron du MotoGP à l’antenne de la TV italienne en plein week-end de course. Cette prise de parole rare de sa part dans un tel contexte et, surtout, la fermeté de ses propos finissent par réduire à néant la stratégie du pilote et de son agent.
Albert Valera, manager de Jorge Martín, a tout tenté face à Massimo Rivola, en vain.
Photo de : Mirco Lazzari GP – Getty Images
Albert Valera a pourtant bel et bien tenté d’explorer toutes les voies. Il a même proposé de racheter le contrat, mais le montant exigé par Aprilia était totalement inatteignable. Un recours au Tribunal arbitral du sport n’était pas non plus une option, et pour cause. Lors de la rédaction du contrat, en 2024, les avocats de Jorge Martín avaient tenté de faire en sorte que tout litige potentiel soit réglé par le TAS, mais Aprilia avait insisté pour qu’il soit traité par les tribunaux de Milan et obtenu gain de cause. Massimo Rivola allait d’ailleurs habilement en jouer, rappelant volontiers : « Je connais la loi italienne, qui n’est peut-être pas la même que la loi anglaise. Donc je suis extrêmement serein. »
La position d’Aprilia, entièrement soutenue par la société mère, le groupe Piaggio, a été de rester ferme à chaque étape. Dans le même temps, l’équipe a constamment exprimé son intention de donner envie au champion en titre avec un projet qui a considérablement progressé depuis le début de l’année, ce que la victoire de Marco Bezzecchi à Silverstone mais aussi ses performances suivantes ont démontré.
Après quelques jours de réflexion et alors que son retour à la compétition approchait, le pilote madrilène décide donc de renoncer à ce qu’il considère pourtant être son droit contractuel. Désireux désormais de se concentrer sur la course, il choisit de clore l’affaire et accepte qu’il courra bel et bien avec Aprilia jusqu’à la fin de l’année 2026.
C’est finalement en Allemagne, deux mois presque jour pour jour après que l’affaire a éclaté, qu’il devient clair que le dossier est clos, lorsque le journal espagnol Diario AS rapporte que Jorge Martín ira bien au bout de son contrat de deux ans. Le conflit laisse place alors à une phase de reconstruction, avec des roulages de préparation puis une participation réussie au GP de République tchèque, précédée par une longue prise de parole du pilote qui tente ce jour-là d’expliquer la souffrance qu’il a endurée.
Ce week-end de course à Brno s’est terminé dans les sourires, et voici à présent le duo Martín-Aprilia lancé pour une année et demie de partenariat que chacun devra s’efforcer de faire fructifier au mieux. Lorsque le contrat arrivera à échéance, fin 2026, le pilote pourra décider librement de son avenir. Pour l’instant, celui-ci ne semble pas impliquer Aprilia, mais l’avenir nous dira si Honda est toujours intéressé par le Madrilène pour 2027.
Lire aussi :
Dans cet article
Soyez le premier informé et souscrivez aux alertes mails pour recevoir les infos en temps réel
S’abonner aux alertes de news