Par
Emma Derome
Publié le
9 août 2025 à 16h30
« Un mois c’est zéro euro, un autre c’est 700 euros, et le mois d’après, encore une autre somme. » Isabelle ne comprend plus rien à cette cacophonie. Cette habitante de la périphérie nantaise se bat avec une pile de dossiers, mais rien n’y fait : depuis des mois, et alors qu’elle est en arrêt pour maladie professionnelle, elle ne touche pas ses indemnités journalières, mais seulement un « acompte », qui lui permet à peine de vivre.
« 700 euros, ce n’est même pas le montant de mon loyer »
En cause, des bugs liés au logiciel Arpège, expérimenté par les CPAM de Vendée et de Loire-Atlantique. Cette dernière lui a en effet assuré par téléphone que son dossier, bloqué, doit être traité par un technicien. « Il faut patienter, on me dit toujours de patienter, mais je ne sais jamais combien de temps », déplore cette mère de famille célibataire, qui souffre d’une épicondylite, ou maladie du tennisman, une douloureuse inflammation du coude.
Quand nous la contactons, cette quadragénaire vient de faire une IRM et sait désormais que le tendon de son coude est fissuré. Handicapant quand on travaille comme hôtesse de caisse dans un supermarché.
Isabelle sait donc qu’elle devra rester en arrêt maladie pendant encore plusieurs mois. Ce qui l’inquiète, car elle ne reçoit pas les 80 % de son salaire que devrait lui verser l’Assurance maladie. Seulement un pécule de 700 euros, « sachant que mon loyer est lui de 740 euros ».
Faire appel à une assistante sociale, « c’est humiliant »
Alors qu’elle élève seule une jeune de 17 ans, la Ligérienne fait comme elle peut pour vivre en piochant dans ses économies et en demandant à ses proches de l’aider. « Et encore, la semaine dernière, on m’a demandé de rembourser l’acompte de juillet. Je crois que ça a été la goutte d’eau », raconte-t-elle avec des larmes dans la voix.
Je ne sais pas comment je ferais sans ma mère, qui est dans une situation un peu plus confortable. Mais à 47 ans, aller demander des petits sous à ma maman pour faire des courses ou pour mettre de l’essence, alors que j’ai toujours gagné ma vie, ça fait un petit pincement au cœur. C’est dur.
Isabelle
Alors même qu’elle n’a jamais connu le chômage et toujours travaillé depuis qu’elle a 18 ans, Isabelle se sent « humiliée » d’avoir dû avoir recours à une assistante sociale de la CPAM. Cette dernière a fait passer son dossier dans deux commissions spéciales, qui lui ont permis de toucher deux aides ponctuelles de 300 et 400 euros. De quoi « dépanner » pendant un mois. En septembre, elle compte sur l’Allocation de rentrée scolaire de la CAF pour rattraper quelques frais, « pas pour acheter des cahiers », glisse-t-elle.
Malgré toutes ses galères, Isabelle sait qu’elle n’est pas la plus à plaindre. D’autres victimes de ces bugs avec qui nous avons pu échanger, qui sont en mi-temps thérapeutique, en arrêt pour une maladie grave ou qui ont été victimes d’un accident du travail, ne touchent rien du tout. « Ça ne m’étonnera pas qu’un jour on dise que quelqu’un a fait quelque chose d’irréparable à cause de tout ça », craint-elle.
Heureusement que je suis d’un naturel jovial, que j’habite au cœur d’un village, que je sors marcher. Parce que dans une telle situation, pour ne pas dépenser d’argent inutilement, on s’enferme, on s’isole et on ne vit plus que dans l’anxiété. On peut vite faire une dépression.
Isabelle
La CPAM assignée en justice par certains assurés
Le syndicat CGT à la CPAM estime à 11 500 le nombre de réclamations déposées devant les deux caisses d’assurance maladie. Pour rassembler toutes les revendications autour d’un problème qui dure depuis presque un an, un collectif, « Arpège non merci », s’est créé. Plusieurs assurés ont décidé de saisir la justice et d’assigner la CPAM 44 en référé afin d’obtenir l’intégralité des indemnités journalières auxquelles elles ont droit. Mais tous ne possèdent pas les fonds nécessaires pour engager un avocat.
De son côté, la CPAM nous assure que « des renforts importants sont déployés avec le soutien de la Caisse nationale afin de rétablir progressivement le délai de traitement des arrêts de travail ».
Si la situation s’améliore et que la grande majorité des arrêts de travail sont désormais indemnisés sans difficulté, un volume important de dossiers d’indemnisation reste encore à régulariser, notamment des arrêts en temps partiel thérapeutique, ou liés à un accident du travail ou une maladie professionnelle.
La CPAM de Loire-Atlantique
Malgré tout, l’attente dure encore chez une partie des sinistrés, qui publient jour après jour des messages de détresse sur le groupe Facebook « Les Sinistrés de la CPAM 44&85 », qui ne compte pas moins de 1 700 membres. « Par comparaison, pour un département qui utilise encore l’ancien logiciel, le nombre de réclamations est au maximum de quelques centaines », assure un communiqué de la CGT.
Le logiciel pointé du doigt, Arpège, devait être élargi à la France entière. L’Assurance maladie a pour le moment reporté sa mise en place au niveau national.
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