Ténèbre, son premier roman, a créé une forte impression et remporté de nombreux prix. Avec Le bonheur, Paul Kawczak confirme la singularité de sa voix romanesque, et offre un récit aux ramifications multiples, d’une beauté obscure et émouvante, à la lecture aussi passionnante qu’exigeante.
Publié à 9 h 00
La trame narrative du Bonheur se déploie durant la période de l’Occupation, en France, particulièrement à Besançon, d’où Kawczak est originaire. L’histoire met en scène trois enfants cachés dans une grotte noire comme la nuit, où se tapit aussi le Diable. Pinou, Jacquot et Suzanne tentent d’échapper à une autre sorte de démon, un nazi au visage fondu, qui les traque sans relâche. Touchant au conte et au fantastique, mais aussi au récit d’aventures, le roman suit la destinée de ces enfants, ainsi que celles de Marceline Beugnot, de son chien Foie de veau et d’autres alliés – réels comme imaginaires – qui tenteront désespérément de sauver les enfants des griffes du sadique SS-Sturmbannführer Peter Pannus, obsédé par sa quête d’une mystérieuse lumière verte.
L’auteur fait plusieurs détours et retours en arrière, s’attardant parfois longuement au passé de ses personnages, entrelaçant les trames de leurs existences à plusieurs mouvements sociaux et politiques, dont la grande manifestation du 1er mai 1906 en France, qui marquera à jamais la vie de Marceline et de son père, Tancrède.
Kawczak nous rappelle aussi que la France « a contribué activement à la déportation de dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vers des camps d’extermination », où la plupart ont été gazés dès leur arrivée. Dans un chapitre de 25 pages intitulé « 1942 », il en fait la démonstration sous forme de nomenclature factuelle particulièrement pénible à lire, où l’accumulation des vies volées donne le haut-le-cœur. Un chapitre dérangeant, une rupture de ton, comme un devoir de mémoire que l’auteur refuse de romancer. L’horreur n’a plus de paravent où se cacher.
Chez Paul Kawczak, les horreurs causées par le fascisme et l’indicible beauté de la nature, décrite dans toute sa splendeur divine avec une plume frissonnante, existent dans une simultanéité douloureuse, quasi mystique. Intime et politique, tangible et intangible, bonheur et terreur sont entrelacés dans une énigme insoluble, belle et terrifiante, comme l’existence.
Le roman pourrait ainsi se conclure ; mais une deuxième partie est présentée comme un épilogue « éclairant certaines zones d’ombres, dévoilant de nouveaux territoires » que l’auteur invite à lire… ou pas, et qui offre plusieurs clés de lecture.
Cette œuvre touffue, fascinante, mais aussi déconcertante, demande un engagement actif du lecteur, et reste empreinte, une fois le livre refermé, d’une aura de mystère sur « tout ce qui est caché ».
Le bonheur
La Peuplade
384 pages