Certaines histoires de famille se
transmettent sans jamais être racontées. Celle-ci méritait d’être
écrite.
Dès sa sortie en
février 2025, Mon vrai
nom est Elisabeth, premier roman d’Adèle Yon, a su
captiver plus de 70 000 lecteurs et décrocher
plusieurs prix prestigieux comme le prix littéraire du
Nouvel Obs, le prix Essai France Télévisions et le Grand Prix des
Lectrices Elle. Mais ce qui fait vraiment la force de ce
livre, c’est son mélange rare d’intimité
et d’enquête familiale. Sans jamais tomber dans le pathos,
Adèle nous emmène à la rencontre d’une
femme oubliée, d’une histoire de famille
lourde de non-dits, le tout raconté avec cette justesse et
cette sensibilité qui vous happent dès les premières pages.
Une histoire de famille
longtemps mise sous silence
Dans ce roman,
on plonge dans l’histoire d’Elizabeth, alias
“Betsy”, l’arrière-grand-mère d’Adèle Yon, née en
1916. Une femme qui a fini enfermée en hôpital
psychiatrique, parce que son mari et son père ont décidé
que c’était la meilleure solution… Pour eux, en tout cas. Dans la
famille, Betsy, c’était un peu la dame que l »on
évitait d’évoquer — un fantôme un peu flippant, la
“folle” dont on chuchotait à peine le nom. Mais si on
s’attendait à un simple portrait d’une femme malade, on se
tromperait. Le roman révèle une vie bien plus
compliquée, marquée par des grossesses non
désirées, des jugements sévères, et
surtout une époque où la psychiatrie servait parfois plus à
enfermer ce que l’on ne voulait pas voir qu’à soigner.
Ce qui lance vraiment
l’enquête, c’est la découverte d’une vieille photo
d’identité dans les affaires du grand-oncle décédé. Cette
image, toute simple, fait soudain surgir cette aïeule que l’on
avait un peu laissée tomber dans l’oubli. Ce
livre, c’est donc un voyage dans les méandres d’une
famille bourgeoise et catholique où, comme
Adèle le dit elle-même, “rien n’est jamais
vraiment écrit noir sur blanc” — et où les silences, racontent
parfois plus que les mots. (Bref, une vraie partie de Cluedo
familial, mais sans les indices faciles.)
Une
quête intime et une vraie enquête familiale
Ce que l’on découvre en
filigrane dans ce roman, c’est qu’Adèle
Yon n’a pas juste écrit un livre — elle a
carrément mené une enquête digne d’un polar
familial. En fouillant les affaires du grand-oncle, en
épluchant les archives, en interrogeant ses proches (et en
mettant parfois les pieds dans le plat, faut le dire), elle a tenté
de comprendre ce que tout le monde savait vaguement… Sans jamais
vouloir vraiment l’admettre. Parce que oui, tout le monde
connaissait l’étiquette collée sur Betsy —
« schizophrène » — mais personne n’avait pris la
peine de creuser derrière les mots. Pas très étonnant, dans une
famille où les secrets sont rangés bien au chaud entre les nappes brodées et les albums
photo poussiéreux.
Petit à petit,
Adèle a donc reconstruit le puzzle. Et ce qu’elle
a découvert, c’est une époque pas si lointaine où une femme pouvait
être enfermée juste parce qu’elle dérangeait un peu trop — parce
qu’elle n’obéissait pas, qu’elle ne se pliait pas au rôle que l’on
voulait lui faire jouer (spoiler : épouse silencieuse et mère en
boucle). Ce roman, c’est autant le portrait d’une
femme que le reflet d’un système qui n’a pas laissé beaucoup
d’espace aux voix dissonantes.
Et comme si cela ne suffisait
pas, cette plongée dans son histoire familiale a
aussi nourri sa thèse de doctorat en art, soutenue en
décembre 2024. Ce mélange entre vie perso, archives, et
mémoire collective donne un texte dense, sincère, et franchement
nécessaire. Parce qu’en vrai, qui n’a pas dans sa famille un secret
trop lourd, une histoire jamais racontée ou une voix étouffée ? Ce
roman donne juste envie de soulever le tapis. (Même si on sait très
bien que cela va secouer un peu la poussière.)
©
FNAC