Pour obtenir un visa étudiant, les autorités américaines exigent désormais de pouvoir contrôler le contenu des réseaux sociaux des universitaires. Une pratique qui interroge et qui décourage même certains étudiants et étudiantes.
Etudier aux Etats-Unis, dans les meilleures universités du monde, est un rêve pour beaucoup d’étudiants suisses. Kamil Lahlou en fait partie. Finissant ses études en ingénierie des sciences du vivant à l’EPFL, il a été pris pour un projet de master dans un laboratoire affilié à l’Université d’Harvard. Une institution prestigieuse, « une opportunité en or », se souvient-il.
C’était sans compter sur l’administration Trump. Fin mai, sur fond de contestation du gouvernement de Donald Trump et de manifestations propalestiniennes dans certaines universités, le président américain ordonne la suspension des processus de visa étudiant. En juin, les procédures reprennent, mais les autorités américaines demandent désormais aux candidats de passer tous leurs comptes de réseaux sociaux en « public » afin de pouvoir en vérifier le contenu.
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Des étudiants découragés
Pour Kamil Lahlou, c’est trop. Le jeune homme renonce à sa place à Harvard. « Je trouvais ça super intrusif d’aller regarder dans les réseaux sociaux des gens », explique-t-il dans le 19h30 de la RTS. « C’est souvent des pratiques qu’on retrouve plutôt dans des dictatures ou des régimes autoritaires. J’étais assez surpris de ça venant des États-Unis. Je n’avais pas envie de le subir. »
Une décision motivée à la fois par l’examen de ses réseaux sociaux — même s’il assure ne rien publier de politique —,, mais aussi par l’incertitude latente dans le milieu académique américain, que lui ont rapportée des collègues et professeurs déjà sur place. « Ils avaient des coupures de budget, il y avait de la censure par rapport à ce qu’on pouvait dire pour se plaindre, par rapport à l’administration. Et donc, ça a été une décision très difficile à prendre, mais je pense que c’était la meilleure au final. »
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Une mesure de sécurité
L’objectif affiché du gouvernement américain est de détecter toute hostilité envers les Etats-Unis. Mais pour l’avocate spécialisée en droit américain de l’immigration Jaci Ohayon, « c’est le personnel consulaire qui doit vérifier les réseaux sociaux. Et ce qui pourrait dépasser les limites peut être très subjectif. »
Une mesure hâtivement mise en place, selon l’avocate basée à Genève, et dont les contours ne sont toujours pas clairement définis. Avec ses confrères et consœurs, elle cherche à clarifier la situation « On est en train d’étudier les différents cas pour comprendre ce qui se passe., pour établir des directives. Quelles sont ces lignes à ne pas franchir? Qu’est-ce qui entraîne des refus de visa? Pouvons-nous identifier des tendances et conseiller nos clients à ce sujet? Nous sommes encore en train d’étudier tout ça. »
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En attendant d’y voir plus clair, Jaci Ohayon recommande aux candidats et candidates à un visa étudiant non pas de supprimer leurs comptes de réseaux sociaux, mais de bien nettoyer leurs publications. « Si c’est quelque chose que vous n’aimeriez pas que votre grand-maman voie, ça ne devrait pas figurer sur vos réseaux ou sur votre téléphone », estime-t-elle.
Sollicitée pour une interview, l’ambassade des Etats-Unis en Suisse a répondu par écrit se réjouir « de proposer à nouveau un nombre limité de rendez-vous pour les demandeurs de visa F, M et J. » — les visas étudiants.
Dans l’attente
Un flou dans lequel doit naviguer Marc*, un autre étudiant dans une université suisse qui, lui, est toujours en attente de son visa américain. « Il faut rentrer dans des marges qui ne sont même pas définies. On ne sait même pas, en fait, ce qui est ok et pas ok d’avoir sur ses réseaux. On se doute bien que les choses liées à la Palestine, à l’administration, on n’a pas trop le droit. Mais, ça reste quand même assez choquant, surtout dans un pays pour qui le Premier Amendement, la liberté d’expression, est tellement important. »
Ne sachant pas quand il fallait le faire, l’universitaire a déjà rendu ses comptes de réseaux sociaux visibles par tous. « J’ai eu quelques comptes de gens bizarres qui se sont abonnés à moi, mais je les ai tous supprimés », précise-t-il.
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Marc a souhaité témoigner sous couvert de l’anonymat. Comme lui, de nombreux étudiants préfèrent ne pas s’exprimer publiquement, de peur de voir leur année aux Etats-Unis menacée. Malgré le contexte, il se réjouit d’aller étudier outre-Atlantique. « La qualité de la recherche est quand même assez exceptionnelle. Et les budgets aussi. »
Quant à Kamil, c’est à Melbourne, en Australie, qu’il étudiera finalement les liens entre cancer du poumon et système immunitaire.
Michael Maccabez
*Prénom d’emprunt