Dans les années 50, pour fuir l’exemple du mariage de ses parents, Mithé, une jeune finistérienne, partait faire ses études à Alger malgré la guerre. Dans son film « Finalement, j’ai eu une vie très gaie », sa fille Amilia Escriva, démêle un héritage familial désuni par trois générations de guerre. [1ère publication le 20 avril 2025]
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Amalia Escriva est réalisatrice. Dans son film « Finalement, j’ai eu une vie très gaie », elle raconte l’histoire de sa mère, qui a grandi dans une famille imprégnée de la rudesse de l’époque et démêle le parcours de vie de celle qui était crainte et aimé en même temps.
Une mère que nous craignions, que nous aimions et détestions, tour à tour et tout en même temps.
Cette mère s’appelle Marie-Thérèse, dite Mithé pour ses enfants. Elle est née à Landerneau. Petite, elle passait ses journées dans le grenier, songeant à son grand-père maternel, mousse devenu officier de la Royale. À travers les cartes postales qu’il envoyait du bout de la terre à sa famille, la petite Mithé rêvait de prendre la mer pour fuir Landerneau et la famille désunie dans laquelle elle grandissait.
Dans les années 50, devenue jeune fille, elle prit la décision de traverser la mer pour se rendre à Alger chez les sœurs blanches, pour passer son monitorat d’enseignement d’art ménager.
« Pour cela, elle a gagné notre admiration » témoigne aujourd’hui Amalia, sa fille.
C’est donc à Alger, en 1954, que Mithé fit connaissance de celui qui deviendra son mari. Elle travaillait, à ce moment-là, à la bibliothèque de l’école pour payer ses études.
Pendant presque deux ans, Robert Escriva, cet homme « Européen d’Alger », fit preuve de patience pour parvenir à la séduire. Car Mithé, qui venait d’obtenir son diplôme d’enseignement ménager, n’avait pas en tête de se marier.
Je ne voulais pas me marier, le mariage de mes parents avait été tellement catastrophique
Robert la supplia de ne pas partir à Ouagadougou où un poste l’attendait. Et elle céda. Elle renonça ainsi à son rêve d’Afrique subsaharienne et enseigna à la casbah des sœurs blanches à Alger. » Mais il était beau, extrêmement gentil et bien né » dira-t-elle alors.
Un an après leurs fiançailles, le mariage fut célébré dans le Finistère. « Sapristi, tout de même ! » disait Marie, la mère de Mithé. Car enfin, voir sa fille s’élever dans une famille fortunée, c’était autre chose que ce qui lui était arrivé à elle, dans sa jeunesse.
« Formidable, impeccable ! Parce qu’avec Émile, mon mari rustique, ce n’était pas gagné dame ! » s’exclamait Marie, la mère de la mariée.
Effectivement, la grand-mère bretonne, Marie, dans cette petite ville de Landerneau où les hommes étaient décimés par la Grande Guerre, avait dû épouser, faute de mieux, Émile de retour des tranchées.
Un Émile traumatisé par la violence de la République des années 1900. À l’époque, il fallait faire « rendre gorge » aux « Bretons », à coups de règle sur les doigts et les genoux, au profit du « Français ». À 17 ans, Emile avait alors pris la décision de partir sur le front, pour « quitter un enfer pour un autre » raconte Amalia, sa petite fille.
À cette époque, les enfants étaient mal traités
Naturellement, cet héritage explique le rejet que Mithé portait à l’idée du mariage. Et, durant la Seconde Guerre mondiale, elle aussi, craignait d’être obligée d’épouser le premier qui passerait.
Rentrée en France, des années et quatre naissances plus tard, Mithé aimait dérouler les récits de son enfance à l’heure du souper. Le martinet était à portée de main, se souvient Amalia. C’est parce que, précise sa mère, « vous étiez insupportables ».
Et elle restait souvent seule, Mithé, pendant que son mari partait sur les routes pour faire la tournée des concessionnaires de bouteilles de gaz. « Elle restait seule et s’en plaignait. Pourtant, notre père, lui, était très amoureux de sa femme. Il était gentil et affectueux avec nous ».
« Nous, les enfants de Mithé, nous étions, à la fois, ses amours, ses trésors, son poison et sa prison, ses ailes brisées au fil des naissances. Maintenant, nous lui avons tout pardonné » témoigne sa fille.
C’est après la mort de son mari, que Mithé, a gagné en liberté, raconte Amélia Escriva. Et elle ajoute que malgré sa vie tumultueuse et ses problèmes de santé, « notre mère ne semble pas prête à renoncer à la vie qu’elle a cessé de dénigrer « , dit-elle.
Elle peut enfin souffler et dire qu’elle vient de là, de ce nord Finistère rugueux, dont elle ne parle plus la langue, mais dont elle a gardé les mots tendres.
Après un long périple de vie familiale désunie, entre maternité, guerres et rêves envolés, elle transmet aujourd’hui, à travers des mots tendres en breton, toute son affection à ses petits enfants.
« Finalement, j’ai eu une vie très gaie », un film d’Amalia Escriva à voir sur france.tv.