Par

Julie Bossart

Publié le

10 août 2025 à 8h52

Un acte devenu viral, un émoi d’ampleur nationale, une condamnation donnée avec célérité. Voici les trois actes de l’affaire dite de la flamme de la tombe du Soldat inconnu. Mardi 5 août 2025, un homme a été filmé en train d’allumer sa cigarette avec la flamme de ce monument symbolisant les soldats morts pour la France au cours de son histoire. Sous le regard des touristes, il a ensuite quitté tranquillement la sépulture qui prend place sous l’Arc de triomphe, dans le 8e arrondissement de Paris.
Aussitôt, l’indignation s’est propagée sur les réseaux sociaux, alimentée par l’extrême droite et remontant jusqu’à Bruno Retailleau. Les services de la préfecture de Police et de justice sont saisis, de premières informations fuitent sur le « profanateur », qui est finalement placé en garde à vue.

« Pas n’importe quelle tombe »

Vendredi, ce père de famille marocain de 47 ans, tout juste quitté par sa femme, conducteur d’engins de travaux, bipolaire, ancien consommateur de crack notamment et dont le casier judiciaire est chargé de 28 mentions, a écopé d’une peine de trois mois de prison avec sursis. Il a également été condamné à verser un euro symbolique de dommages et intérêts aux Monuments nationaux. Mais quel est le réel épilogue ?

Lors de son procès pour violation de sépulture ou monument édifié à la mémoire des morts, le prévenu s’est contrit pour son acte, a relevé Le Parisien : « Je tiens à m’excuser auprès de tous les Français, auprès des militaires, auprès de tout le monde. Ce que j’ai fait, c’est n’importe quoi. J’ai commis la bêtise du siècle. Je n’avais pas vraiment conscience que j’étais sous l’Arc de triomphe, un endroit saint. Je regrette du fond de mon cœur. J’aime la France. » Une repentance à laquelle a mis un terme le représentant du parquet : « On ne peut pas ignorer qu’il s’agit d’un endroit au caractère sacré. »

« La tombe du Soldat inconnu n’est pas n’importe laquelle », abonde Jean-Yves Le Naour, historien spécialiste de la Première Guerre mondiale et du XXe siècle, sollicité par actu pour savoir « ce que révèle » cet épisode survenu au plein creux de l’été. « Elle est l’autel de la nation. Elle représente une sorte de sacré patriotique », reprend cet auteur prolifique d’essais (comme 1929-1935 – La crise, Éd. Perrin, 2024), scénariste de bandes dessinées (prix Valérien de la Résistance 2024 pour Grenoble) et de films documentaires.

Contacté au moment des faits, le Comité responsable du ravivage de la flamme nous disait « partager la consternation face au geste insultant pour tous les soldats d’hier et d’aujourd’hui, pour tous ceux qui sont tombés pour que vive la France », mais reconnaître qu’il s’agissait « d’un geste rarissime ». Et qui a donc eu des précédents. Jean-Yves Le Naour nous éclaire :

« En 1927, un crachat retrouvé sur la dalle de granit – attribué aux communistes par la droite – a suscité de grandes manifestations réparatrices. En 1958, un provocateur vient y faire cuire un œuf, un geste dadaïste, mais le pauvre soldat inconnu a aussi subi l’attaque de sa flamme avec un extincteur ou encore l’urine d’un supporter mexicain imbibé, lors de la Coupe du monde de 1998. » À chaque fois, les réactions sont épidermiques et sévères.

« La tombe du Soldat inconnu n’est pas n’importe laquelle. Elle est l’autel de la nation. Elle représente une sorte de sacré patriotique », reprend l’historien. Si l’homme qui a allumé sa cigarette a été poursuivi pour violation et profanation de sépulture, il a en réalité commis un « sacrilège », souligne Jean-Yves Le Naour : « Pas tout à fait envers cette pauvre victime de la Guerre 14-18, mais envers la nation française, dont la flamme ravivée chaque jour symbolise ses souffrances et sa résilience. Nous sommes dans le symbole, bien entendu… Mais une nation ne repose-t-elle pas aussi (et surtout ?)  sur des mythes et des symboles ? »

Récupération politique ? 

Pour l’historien, la question de la récupération politique de la part d’un ministre ancré à droite ne se pose pas : « Il est de l’intérêt de Bruno Retailleau de monter sur ses grands chevaux, lui qui défend justement une vision nationale, qui n’est pas la plus ouverte. Le délinquant en question est de plus un étranger. Mais, la répression, en l’occurrence le sursis, est une peine moins sévère que celle qui a concerné l’homme qui a fait cuire un œuf en 1958 : prison ferme ! » Autre temps, autres mœurs… 

Les discours sont fermes, la justice, elle, relativise. « Nous sommes sur un terrain légal qui relève aussi du moral, pose Jean-Yves Le Naour. Peu importe ce que dit le ministre, ce qui compte, c’est l’État de droit et la décision judiciaire. Et l’on voit bien que la justice n’a pas la main trop lourde. Quelque chose de choquant a été réparé. »

Depuis les faits et leur issue judiciaire, pas de nouvelle du ministre de l’Intérieur, qui avait annoncé qu’il allait lui retirer son titre de séjour.

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