Par

Chloé Berry

Publié le

10 août 2025 à 8h42

C’est la tradition des longs week-ends. Avec une bande d’amis, dès que l’un de nous est en vadrouille, on a pris l’habitude de s’envoyer une carte postale depuis notre lieu de villégiature. La plus kitsch qu’il soit, si possible.

Cette petite habitude nous éloigne de nos smartphones le temps d’un verre en terrasse, flatte les plus littéraires d’entre nous et surtout, a contribué à habiller les portes de nos frigidaires ces dernières années.

Chaque année, comme mes amis et moi, des millions de Français postent des cartons colorés pour faire savoir à leurs proches qu’ils pensent à eux pendant leurs vacances. Une vieille pratique qui semble avoir survécu à l’ère du tout numérique.

Des « dizaines de millions » par an

Chaque année, « plusieurs dizaines de millions » de cartes postales seraient envoyées, comme le chiffre Bertrand Stoll, président de l’Union professionnelle de la carte postale (UPCP), contacté par actu.fr.

Impossible d’avoir un chiffre plus précis. « On ne peut pas distinguer les cartes des autres lettres dans le flux de courrier, on ne sait pas ce qu’il y a dans les enveloppes », complète La Poste, également contactée par notre rédaction pour les besoins de cet article.

Des « dizaines de millions ». C’est énorme. En 2021, une des études de l’UPCP estimait que 74 millions de cartons voyageaient dans les boîtes jaunes de La Poste par an.

De quoi confirmer que la carte postale n’aurait rien de « désuet », comme l’avance Bertand Stoll, PDG des éditions Jack, maison qui édite des cartes postales.

Le courrier des Français en chiffres

Si La Poste n’a pas pu nous communiquer le nombre exact de cartes postales qui transitent dans ses boîtes jaunes, on nous a transmis d’autres données pour se faire une idée du volume du courrier circulant en France.

Le nombre de lettres envoyées en France a été divisé par trois en 10 ans : en 2008, La Poste traitait 18 milliards de plis. Ce chiffre est tombé à moins de 6 milliards aujourd’hui.

Le courrier émis par les particuliers représente aujourd’hui moins de 5 % des volumes totaux.

Des ventes qui stagnent depuis une quinzaine d’années

Ce bout de carton illustré a connu son âge d’or au début du XXe siècle. Son usage était alors quotidien pour beaucoup. La naissance du téléphone brise la dynamique. Puis, ce sera le portable et plus tard, les réseaux sociaux.

Depuis une grosse quinzaine d’années, quand les réseaux sociaux ont pris beaucoup de place, on est sur une stagnation des ventes.

Bertrand Stoll
Président de l’UPCP et PDG des éditions Jack

Des cartes en pole position sur le frigo

Depuis, la carte postale a toujours été sur le déclin. Pour ne pas mourir, il a fallu se réinventer. C’est comme cela que, ces dernières années, les « cartes de luxe » ont vu le jour.

Vendues deux ou trois euros (contre 50 ou 60 centimes pour un modèle plus classique), on peut y voir des illustrations plus travaillées qu’un banal paysage accompagné d’une petite phrase rigolote. Des cartes, qui font office de « décoration pas cher » que l’on n’envoie pas nécessairement à ses proches.

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« On a pris ce virage pour répondre à une demande du public », observe le président de l’UPCP. Ces cartes ont vu le jour pour attirer les adolescents et les 18-25 ans. « C’est rassurant pour les commerçants de sécuriser une clientèle jeune. »

Eh oui, car, selon les observations de Bertrand Stoll, ce sont les plus âgés (50-70 ans), « moins assujettis » aux réseaux sociaux, qui ont l’habitude d’envoyer des cartes postales. Alors, savoir attirer un nouveau public, c’est essentiel pour le secteur.

Se diversifier pour rester dans la course

Pour donner l’envie de noircir une carte postale, il faut aussi répondre à l’enjeu de la personnalisation. C’est « le nerf de la guerre » pour le PDG des éditions Jack, qui emploie une trentaine de personnes.

Quand les gens sont en vacances sur un site, ils veulent des cartes qui collent au site. Avant, on imprimait un paysage qui pouvait se vendre partout. Aujourd’hui, les images génériques se vendent moins. On va demander à nos artistes de faire des dessins ou des photos différentes pour chaque lieu touristique.

Bertrand Stoll
Président de l’UPCP et PDG des éditions Jack

Très impacté par l’arrivée des nouvelles technologies, le secteur s’est également diversifié pour rester à flot. Aux éditions Jack, on ne vend pas que des cartes postales. On s’est mis à faire des produits dérivés comme des calendriers, des agendas et des magnets, qui sont de « très grosses ventes ».

Reste que le petit carton iconique, ça reste 30 % du chiffre d’affaires de la maison d’édition. L’objet qui représente la plus grosse part du gâteau.

« Ça marche toujours autant »

Les maisons de presse et les tabacs des grands lieux touristiques n’aimeraient pas les voir disparaître non plus.

Histoire de se faire une idée de la réalité du terrain, on a téléphoné à trois points de vente de cartes postales situés en plein centre de lieux privilégiés par les Français pendant les vacances : Saint-Malo, Biarritz et Saint-Rémy-de-Provence.

« Ça marche toujours autant », nous confie le gérant d’un tabac en plein cœur de Saint-Malo, précisant qu’il vaut mieux avoir du stock durant l’été pour ne pas se faire surprendre.

Devant les bureaux de tabac ou les maisons de presse, la première chose que l'on voit généralement, ce sont ces présentoirs garnis de cartes postales.
Devant les bureaux de tabac ou les maisons de presse, la première chose que l’on voit généralement, ce sont ces présentoirs garnis de cartes postales. (©JEAN-MARC BARRERE/HANS LUCAS/AFP)Un produit d’appel indispensable

Avant Internet, il en vendait plus, certes. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour ranger au placard ses portants de cartes qui trônent fièrement sur le trottoir.

C’est un très bon produit d’appel et ça nous permet de se faire un peu de marge. On achète les cartes 12 centimes hors taxe et on les revend entre 50 et 60 centimes TTC.

Gérant d’un tabac à Saint-Malo

À Biarritz, on vend aussi des petits cartons chaque jour. Côté clientèle, il y a de tout. « Il n’y a pas de public particulier », indique une vendeuse de la maison de la presse.

La faute au prix des timbres

Nos deux interlocuteurs s’accordent à dire que leurs ventes sont stables depuis plusieurs années. À Saint-Rémy-de-Provence, le constat est plutôt à la baisse. « Le prix du timbre y est pour beaucoup », souffle une vendeuse.

D’autant plus que la majorité de leur clientèle est étrangère. Et alors, un timbre pour un autre pays, c’est encore plus cher : 2,10 euros, comme on le lit sur le site de La Poste. Contre 1,39 euro pour la France.

Et 1,39 euro, c’est déjà assez cher, surtout quand on se souvient qu’il n’en coutait que 88 centimes en 2019. Encore plus quand on sait que ça va (encore) augmenter en 2026, pour passer à 1,52 euro.

« Les augmentations successives du prix du timbre ne nous ont pas fait du bien », remarque aussi Bertrand Stoll.

Malgré tout, un fort capital sympathie

Alors que tout est contre elles, les cartes postales bénéficient d’un capital sympathie auprès de la clientèle française. Aujourd’hui, elles profitent aussi d’un petit effet « vintage », comme le remarque Bertrand Stoll.

On envoie des cartes pour donner des nouvelles, porter une petite attention à quelqu’un… Pour certains, c’est mieux qu’un SMS. Et puis, c’est un petit produit pas très cher qui fait toujours plaisir.

Bertrand Stoll
Président de l’UPCP et PDG des éditions Jack

Ouvrir ma boîte aux lettres et découvrir un carton coloré entre deux lettres de mon syndic arrivera toujours à me faire décrocher un sourire, en effet. Et c’est peut-être pour ça qu’on est nombreux à toujours en écrire en 2025, non ?

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